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LIVRE III.

droit port et hâvre est, plus de quinze jours, toujours attendans les armes et les aventures : mais depuis n’issirent point de la Rochelle nuls gens d’armes, pour escarmoucher ni éveiller les Anglois, car ils véoient bien que les Anglois se maintenoient et portoient sagement ; et aussi leurs deux capitaines étoient blessés : pourquoi les autres avoient bien cause d’eux tenir tous là. Bien est vérité que le comte d’Arondel envoya par quatre fois courir sur le pays de Rochelois, vers Soubise, en la terre de Thouars, messire Guillaume Helmen ; et y portèrent, ceux qui envoyés y furent, grand dommage, dont le pays fut moult effrayé ; et encore eussent les Anglois fait autre exploit d’armes, s’ils eussent eu chevaux : mais ils nuls n’en avoient, fors qu’un petit, et encore les avoient-ils trouvés sur le pays. Plenté ne fut ce pas, car si tôt que le plat pays fut informé de leur venue, tous se retrairent à garant : et s’encloyrent ès bonnes villes, eux et le leur. Quand l’armée de mer, si comme je vous conte, eut été et séjourné sur le pays de Rochellois environ quinze jours, et qu’ils s’y furent bien rafreschis, et ils virent que nul ne venoit à l’encontre d’eux, pour eux véer ni chalenger terre, et que vent bon et propice leur fut venu, ils se retrairent vers leurs navires, et les rechargèrent de grand’foison de vins qu’il avoient trouvés sur le pays et de chairs fresches ; et puis entrèrent en leurs vaisseaux. Si se desancrèrent, étant leurs nefs toutes chargées ; et avalèrent leurs voiles ; et le vent se bouta dedans. Si singlèrent en éloignant la terre ; et prirent le profond ; et entrèrent en la mer ; et encontrèrent, en ce propre jour, douze nefs de Bayonne qui s’en alloient en Angleterre, et menoient vins de Gascogne et autres marchandises. Si se conjouirent tous grandement les uns aux autres, et s’entrefirent moult grand’fête, quand ils se furent avisés et connus ; car ils étoient tout un, et tout d’une alliance ; et donnèrent les Bayonnois au comte d’Arondel, deux pièces de vin de Gascongne en cause d’amour et de rafreschissement ; et puis passèrent outre, et les autres demourèrent sur la mer, toujours vaucrant et vallant, et attendant les aventures.

Or vous parlerai de Perrot le Bernois et de sa route. En ce propre termine que l’armée d’Angleterre fut à Marault et en Rochelois, étoit Perrot le Bernois, et sa route où bien avoit quatre cens lances et autant de pillards, sur les champs ; et passa parmi Limousin ; et vinrent en Berry ; et levèrent, en un jour, toutes les marchandises de la ville du Blanc en Berry, où pour ces jours il y avoit foire ; et eurent là grand profit de ces compagnons des routes et des bons et riches prisonniers ; et puis passèrent outre ; et vinrent jusques à Selles en Berry ; et fut la ville toute pillée et robée.

Ainsi se maintinrent Perrot de Berne et le Bourg de Compane, et Aimerigot Marcel, et Olim Barbe et les autres, et chevauchèrent moult avant sur le pays ; et y portèrent grand dommage, car nul ne leur alloit au devant, et en fut le pays tout effrayé delà la rivière de Loire et deçà, et jusques en la comté de Blois et en Touraine, car on ne pouvoit savoir ni imaginer que ces deux armées, qui se tenoient sur les champs, avoient en pensée de faire. Les aucuns disoient que la chose se tailloit que ils devoient eux trouver ensemble : mais non firent, car l’armée de mer se retrait, comme je vous dirai, et aussi firent Perrot le Bernois et sa route.

Quand ils eurent grandement pillé le pays et gagné, ils eurent conseil d’eux retraire en leurs châteaux, et mettre en sauf garant tout ce qu’ils avoient conquis et gagné sur le chemin d’Auvergne et s’en allèrent les uns à Aloise, les autres à Ouzac ou à Carlac ; Perrot le Bernois se retrait à Chalucet. Si n’y eut plus fait d’armes ni de chevauchée, pour celle saison, en Auvergne ni en Limousin. Car trèves furent prises par delà la rivière de Loire, qui devoient durer, si comme elles firent, jusques au mois de mars. Et toujours se tenoit le siége devant Ventadour, de messire Guillaume de Lignac, de messire Jean Bonne-Lance, de messire Jean le Bouteiller, et des autres chevaliers et écuyers d’Auvergne et de Limosin, car Geoffroy Tête-Noire étoit bien si orgueilleux qu’il ne faisoit compte de nulles trèves, ni de paix ni de repit, et tout sur la fiance de son fort lieu.

Nous nous souffrirons à parler du siége de Ventadour et de dire quelle fin il en print, tant que point et temps sera, et nous rafreschirons d’autres nouvelles : c’est à entendre des besognes de Brabant et de Guerles, qui ne sont pas à oublier ni ignorer, pour la cause que le roi de France y mit la main quand il vit que les choses alloient mal.