Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
[1390]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

roi ne l’avoit point en grâce : si lui convint souffrir ce blâme et celle parole. Quand on eut dîné à grand loisir, lavé, et levé les tables et rendu grâces, ménestrels de bouche et du bas mestier furent appareillés devant le roi, et firent leur devoir de ce que ils devoient dire et faire, ainsi comme ils ont d’usage

Ces ébattemens passés, messire Thomas de Percy s’avança et s’en vint agenouiller devant le roi et dit ainsi : « Très cher sire, je et mes compagnons nous émerveillons d’une chose. Vous nous avez fait si très bonne chère que nous vous en devons savoir gré ; et nous avez fait grandement et largement donner et départir de vos biens et riches joyaux. Mais de ce que on a trépassé, en ces dons donnant, messire Robert Briquet qui est chevalier d’armes et homme et chambellan, avecques nous, à notre sire le roi d’Angleterre, moi et mes compagnons saurions volontiers à quoi il tient. » À celle parole répondit le roi de France et dit : « Thomas, le chevalier que vous nommez, puisque savoir le voulez, n’a pas mestier, si il se trouve en bataille à l’encontre de nous, que son cheval achoppe, car si il étoit pris, sa rançon seroit payée. » À ces mots, le roi fit lever sus messire Thomas de Percy et rentra en autres paroles. Assez tôt après, on apporta vin et épices. Si en prirent le roi et les seigneurs à leur plaisance, et tantôt ce fait, le congé fut pris et donné, et retournèrent les Anglois à leur hôtel. Si firent compter et payer partout ; et à lendemain ils se départirent et mirent au retour, et firent tant par leurs journées que ils retournèrent en Angleterre ; et recordèrent au roi et à ses oncles comment ils avoient exploité ; et se louèrent grandement du roi de France et de la bonne chère qui faite leur fut, et des dons et joyaux qui leur furent donnés.

Nous nous souffrirons à parler des Anglois, et conterons un petit du roi Jean de Castille et en suivant du comte d’Armignac.

CHAPITRE XIX.

De la mort du roi Jean de Castille et du couronnement du roi Henry son fils.


Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire, comme la paix fut faite entre le roi de Castille et le duc de Lancastre, qui chalengeoit et demandoit a avoir grand droit au royaume de Castille de par madame Constance sa femme, qui fille avoit été du roi Piètre ; et par le moyen de une belle-fille que le duc de Lancastre avoit de cette dame Constance, la paix se fit et confirma, car ce roi Jean de Castille avoit à héritier un fils lequel on appeloit Henry, ainsi comme son taion, et prince de Galice. Si fut le mariage fait de ce fils à celle fille de Lancastre qui venoit de la dame Constance, et parmi tant bonne paix entre Castille et Angleterre.

Depuis le mariage fait ne demeura pas deux ans que le roi Jean de Castille alla de vie à trépas, et fut ensepveli en la cité de Burghes en Espaigne[1]. Tantôt après sa mort, les prélats et grands barons de Castille se mirent ensemble, et dirent que ils vouloient couronner à roi leur jeune héritier le prince de Galice. Ce propos fut tenu et le prince de Galice couronné au neuvième an de son âge[2], et sa femme, fille au duc de Lancastre, en avoit quinze. Ainsi demeura la fille au duc de Lancastre et à madame Constance, roine de Castille, et dame et héritière de toutes les terres et seigneuries dont le roi Piètre[3], le roi Henry[4] et le roi Jean tinrent[5] les seigneuries, réservé ce que le duc de Lancastre et sa femme, tant comme ils véquirent, eurent une pension de cent mille florins par an de revenue, dont les quatre meilleurs cités d’Espaigne demeurèrent en pleige et en dette devers eux. Ainsi avoit et véoit le duc de Lancastre ses deux filles, l’une roine d’Espaigne et l’autre roine de Portugal.

Or parlerons du jeune comte Jean d’Armignac et du voyage qu’il fit en Lombardie, car la matière le désire.

  1. Don Juan Ier mourut d’une chute de cheval, à Alcala de Henarès, le 24 août 1390, à l’âge de trente-deux ans. Son corps fut d’abord déposé dans une chapelle de l’hôtel de l’archevêque de Tolède, à Alcala de Henarès, et ensuite transporté à Tolède et enterré dans la chapelle que son père Henri II avait fait construire dans l’église Sainte-Marie. (Voyez Lopez de Ayala, Chronica del rey don Juan el primiero.)
  2. Henri III, fils de don Juan Ier, avait alors onze ans et cinq jours.
  3. Pierre Ier, dit le Cruel.
  4. Henry II, dit le Bâtard.
  5. Jean Ier.