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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

devers le duc de Glocestre ; je ne sais s’il y fut envoyé ou s’il y vint de lui-même, mais il dit ainsi au duc de Glocestre, car le dit duc me conta depuis toutes ces paroles en son hôtel à Plausti : « Monseigneur, pour l’amour de Dieu, ne veuilliez point briser les articles de la paix, car vous véez comme nos seigneurs de France y mettent grand’diligence, et vous ferez aumône, car la guerre a trop duré ; et quand temps est, et que les deux rois le veulent, tous leurs sujets et prochains y doivent bien obéir. » — « Robert, Robert, répondit le duc de Glocestre, je veuil bien atout ce adresser ; et point n’y suis contraire ni rebelle ; mais entre vous de France avez tant de paroles colorées, lesquelles nous sont obscures à notre entendement, que, quand vous voulez, il est guerre, et quand vous voulez, il est paix ; et ainsi nous avez-vous menés jusques à présent ; et ainsi vous déterminerez-vous toujours tant que vous soyez venu à votre entente. Et si monseigneur m’en eût cru, et la greigneur partie de ceux de son royaume qui taillés sont de le servir et aider, jamais paix n’eût été entre France et Angleterre, tant que tout nous eût été restitué ce que tollu on nous a, et sans cause, par cautelles subtiles, ainsi que Dieu sait, et tous autres qui veulent raison connoître et entendre. Et puisque monseigneur s’incline à la paix, de ce avez-vous cause de parler, c’est raison que nous le veuillons aussi ; et si paix est, ainsi que les deux rois le désirent, et pourquoi nous sommes ci assemblés, elle soit bien tenue de votre côté, et elle sera bien tenue du nôtre ! » Sur ces paroles se départit le duc de Glocestre de Robert l’Ermite et prit congé, et vint entre ses gens, et entra en autres paroles.

Je ne vous veuil plus tenir ni prolonger ce propos, mais venir à conclusion, car la matière le désire. Les quatre ducs qui là étoient et qui pleine puissance et autorité avoient de leurs deux souverains, c’est à entendre les deux rois, proposèrent et parlementèrent tant ensemble, car pouvoir avoient de donner trêves et accorder paix, que renommée générale courut parmi la ville d’Abbeville que paix étoit emprise sur certains articles entre le roi de France et le roi d’Angleterre, leurs conjoins et adhérens ; mais je, auteur de cette histoire, qui pour ce temps séjournois en Abbeville pour ouïr et savoir des nouvelles, ne pus pour lors savoir la vérité[1] comme la paix étoit emprise, fors tant que unes trêves furent prises à durer à quatre ans et tenir fermes et estantes par mer et par terre de toutes parties ; et étoit avisé, imaginé et considéré, en l’avis et imagination de ceux qui à ce parlement avoient été, que, avant les quatre ans accomplis, tout seroit rendu et délivré au roi d’Angleterre et à ses commis, les terres et seigneuries qui en la Languedoc sont, qui devoient venir et retourner au roi d’Angleterre, et à toujours perpétuellement aux rois d’Angleterre venans et descendans, et au domaine et héritage de la couronne d’Angleterre. Et parmi ces ordonnances accomplies, terres, villes, cités, châteaux délivrés aux Anglois sur la forme et ordonnance que escript et nommé étoit entre les parties, les deux frères de Lancastre et de Glocestre devoient faire vider aucuns capitaines et leurs hommes qui tenoient aucuns forts au royaume de France et au domaine, lesquelles villes, terres et châteaux devoient retourner à l’héritage de la couronne de France, et tous ceux faire partir et aller leur voie, qui guerre avoient faite ou faisoient, sous ombre du roi d’Angleterre ou des Anglois, de quelque nation qu’ils fussent. Et de toutes ces paroles et promesses obligées des seigneurs et leurs consaux étant à Lolinghen, furent lettres levées, grossoyées et scellées, et les deux copies envoyées aux deux rois. Et pour ce que le roi d’Angleterre avoit trop grand’affection à ouïr certaines nouvelles de la paix, ses oncles, qui là séjournoient, prirent un hâtif message et certain varlet héraut, que on appeloit Marke et roi d’armes d’Angleterre, et escripvirent au roi par lui toute l’ordonnance du procès dernièrement traité, conclu et conditionné sur forme de paix ; et ainsi l’entendoient et avoient arrêté toutes les parties.

Le héraut dessus nommé, quand il eut les lettres des deux ducs de Lancastre et de Glocestre, fut moult réjoui ; et se départit des tentes des Anglois, et vint à Calais, et loua une nef de pêcheur, et le plus tôt qu’il put se fit passer outre ; et exploita tant le maronnier, à l’aide de Dieu et du vent, qu’ils vinrent à Douvre ; et

  1. Le moine de Saint-Denis dit de même que le traité fut verbal et tenu si secret que, quoiqu’il fût en personne à la suite des princes, il ne lui fut possible d’en rien découvrir alors.