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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

nous avons de côté ouï murmurer aucunes choses qui ne nous sont pas plaisantes ni agréables, et temprement nous en saurons la vérité. » Le roi crut son conseil et ne fut point à celle fête, ni nul de ses chevaliers ; et n’y eut ainsi que nulluy, fors ceux qui le vouloient occire et meurtrir.

Quand les comtes de Salsebéry, de Hostidonne et de Kent, et le sire Despensier, virent qu’ils avoient failli à leur entente, et que point ils n’auroient le roi par la manière qu’ils le cuidoient avoir, si parlèrent ensemble et dirent : « Il le nous faut aller querre à Windesore et émouvoir le pays[1]. Nous mettrons Magdelain en habit royal, et le ferons chevaucher avecques nous, et donnerons à entendre que c’est le roi Richard qui est délivré. Tous ceux qui le verront ou qui en orront parler ie croiront ; et par ainsi détruirons-nous nos ennemis. »

Ainsi comme ils le proposèrent ils le firent ; et se mirent tous ensemble d’une alliance ; et se trouvèrent bien cinq cents hommes, uns et autres. Et mirent ce Magdelain en droit état et habit royal ; et le firent chevaucher avecques eux ; et s’en vinrent vers Windesore où le roi Henry tenoit son état. Dieu lui aida premièrement ; car nouvelles lui vinrent que les comtes de Hostidonne, de Salsebéry, le jeune comte de Kent et le sire Despensier chevauchoient et venoient vers Windesore pour le prendre et occire ; et étoient forts assez pour assaillir le chastel de Windesore ; et faisoient Magdelain, un clerc de chapelle au roi Richard, chevaucher avecques eux ; et donnoient à entendre que le roi Richard étoit délivré ; et le créoient moult de gens sur le pays ; et disoient : « Nous l’avons vu. » Et cuidoient bien de lui que ce fût le roi Richard. Et fut dit au roi Henry : « Sire, partez-vous tantôt d’ici, et chevauchez par Scenes et Cartesé vers Londres, car ils viennent ci tout droit. » Le roi crut ce conseil ; et montèrent lui et ses gens tantôt à cheval ; et se départirent de Windesore, chevauchans le chemin que je vous aï nommé. Et ne furent guères éloignés quand ces gens d’armes qui occire le vouloient furent venus à Windesore. Et entrèrent en la porte du chastel, car ils ne trouvèrent nulluy qui leur devéât ; et allèrent partout cherchant de chambre en chambre et proprement ès maisons des chanoines ; et cuidoient trouver le roi, mais non firent. Quand virent qu’ils eurent failli, si furent moult courroucés ; et se départirent de là ; et s’en vinrent ce jour loger à Collebruch ; et faisoient moult de peuple, de force et par traité, aller avecques eux ; et disoient que le roi Richard étoit en leur compagnie. Les aucuns le créoient et les autres non.

Le roi Henry, qui se doutoit de trahison, se hâta de chevaucher, et s’en vint bouter par derrière au chastel de Londres et se mit en la tour, et eut grosses paroles à Richard de Bordeaux et lui dit : « Je vous ai sauvé la vie et en ai eu beaucoup de peine, et vous me voulez faire meurtrir par votre frère mon serourge et par le comte de Salsebéry, le comte de Kent votre nepveu, et le seigneur Despensier. Mal pour vous quand vous avez ce ordonné. » Richard de Bordeaux s’excusa très fort et dit, si Dieu lui pût aider et valoir à l’âme, de tout ce il ne savoit rien ; et ne tendoit jamais à avoir plus grand état ; et que bien lui suffisoit. La chose demoura en ce point. Le roi Henry demanda le mayeur de Londres et tous ses plus espéciaux amis, et leur recorda de point en point toute la chose, ainsi comme il alloit. Les Londriens en furent moult émerveillés et dirent au roi : « Sire, il faut que vous mandiez vos hommes. Il convient aller avant, avant qu’ils multiplient plus. Nous vous avons fait roi ; et demeurerez roi, qui que en ait envie ni vous veuille gréver. » Tantôt le roi fit lettres escripre par moult de clercs ; et furent mis varlets et messagers en œuvre pour réveiller chevaliers et écuyers. Et escripsit le roi vers son connétable le comte de Northonbrelande, et son maréchal le comte de Wesmelant[2], et à tous chevaliers et écuyers, en Excesses, en Lincolle et partout où il les pensoit à avoir ; et tous ceux qui ces nouvelles sçurent et ouïrent, du plus tôt qu’ils purent vinrent devers le roi.

Le dessus nommé comte de Hostidonne, le comte de Salsebéry et les autres de leur alliance eurent conseil et avis qu’ils trairoient vers Londres ; et ne pouvoit être qu’il n’y eût aucuns Londriens qui aimoient le roi Richard, et se trairoient de leur partie. Si se départirent de

  1. La marche des conjurés sur Windsor est du premier dimanche de janvier, 1400, nouveau style, ou 1399, ancien style.
  2. Westmoreland.