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EXTRAIT DE LA PRÉFACE

lui fut envoyé plus tard pour la facilité des collations.

BESANÇON.

La bibliothèque de Saint-Vincent de Besançon était fort riche en manuscrits. M. Dacier fit prier le bénédictin Berthod de lui donner quelques renseignemens sur un manuscrit de Froissart.

Le manuscrit de Saint-Vincent de Besançon formait deux beaux volumes in-folio, couverts de satin usé et copiés en très beau vélin : les vignettes en étaient d’une grande beauté, à cela près que les bras et les jambes des figures étaient assez mal exécutés et hors de proportion avec le reste du corps. Les couleurs appliquées avec beaucoup de délicatesse s’étaient parfaitement bien conservées : les costumes surtout étaient fort exacts. L’armure des guerriers, les fortifications, l’attaque et la défense des places, les barques ou petits vaisseaux avec leurs agrès, tout ce qui pouvait donner une idée des choses racontées dans le texte y était aussi bien rendu qu’il était possible de le faire dans le siècle où le manuscrit avait été copié : il était de la même main. J’ai trouvé dans les papiers de M. Dacier un fac simile de quelques lignes du commencement et de la fin de chacun des deux volumes[1].

On voyait dans la première vignette l’auteur qui présentait son livre au roi d’Angleterre, habillé d’écarlate avec trois lions d’or passant sur sa robe. Ces armoiries sont encore répétées dans d’autres vignettes.

Ce manuscrit a passé de la bibliothèque du célèbre cardinal de Granvelle dans celle du prince de Cante-Croix, son petit-neveu, dont les livres furent vendus à M. Boisot, alors abbé commanditaire de Saint-Vincent de Besançon, qui légua tous ses livres à ses religieux pour en faire une bibliothèque publique. L’ouvrage finit à l’an 1389 : il est écrit sur deux colonnes et semble être antérieur à l’année 1420 ; il parut si curieux à M. Dacier, d’après les renseignemens que lui donna D. Berthod, qu’il écrivit à M. Amelot, alors ministre, la lettre suivante, pour le prier de l’aider dans ses recherches :

« Occupé uniquement et sans relâche à préparer l’édition de Froissart dont je suis chargé sous vos ordres, j’ai enfin épuisé les nombreux manuscrits du roi. Le travail pénible et rebutant de la collation de tant de volumes a été singulièrement adouci par le fruit que j’en ai retiré. J’ose vous promettre un Froissart presque neuf, augmenté de près d’un tiers, dans lequel les noms de personnes et de lieux ainsi que les passages altérés seront rétablis, les lacunes remplies, les leçons vicieuses remplacées par d’autres qui sont incontestablement bonnes. Le style de l’auteur, défiguré dans toutes les éditions, sera pareillement corrigé sur les manuscrits les plus voisins du temps ou il écrivait ; et on ne verra pas sans quelque surprise que la langue française, sous les règnes des rois Jean et Charles V avait plus d’analogie avec notre langue actuelle que celle qu’on parlait sous Henry II et quelques-uns de ses successeurs.

« Pour compléter les collations des manuscrits et afin qu’on ne puisse pas me reprocher d’en avoir négligé aucun, je me suis procuré des notices détaillées de ceux qui existent dans les pays étrangers et dont on ne peut avoir communication ; et je travaille actuellement à examiner ceux qui sont conservés dans plusieurs bibliothèques de Paris, soit publiques, soit particulières. Mais il en existe dans quelques autres villes du royaume, qu’il ne me serait pas moins important de voir : il y en a un surtout à l’abbaye de Saint-Vincent de Besançon, qui mérite par son antiquité et sa belle conservation d’être consulté. Comme votre crédit peut seul m’en procurer la facilité, permettez-moi, monsieur, de le réclamer et de vous prier d’avoir la bonté de faire écrire au prieur de cette abbaye de vous envoyer ce manuscrit et d’être mon garant auprès de lui. La protection dont vous honorez l’ouvrage et l’ouvrier m’enhardit à vous demander cette grâce et me fait espérer de l’obtenir. »

M. Amelot écrivit aussitôt à Besançon, au prieur de l’abbaye, pour le prier de lui envoyer ce manuscrit et il fut remis le 12 janvier 1779 entre les mains de M. Dacier, qui en a tiré de nombreuses variantes pour les deux premiers livres ainsi que le troisième livre tout entier. Bien que le quatrième livre manquât dans ce manuscrit, c’était cependant un des plus précieux qu’on possédât, aussi bien par l’étendue du texte que par la correction du style. Il a été égaré à l’époque de la révolution, et malgré les recherches les plus minutieuses faites sous l’Empire, il a été impossible de le retrouver depuis. Peut-être aura-t-il passé en Russie avec quelques autres ouvrages non moins curieux qui manquent dans nos bibliothèques[2].


MANUSCRITS DES BIBLIOTHÈQUES DE PARIS.


M. Dacier avait rédigé des notes fort exactes sur chacun des manuscrits qu’il avait consultés. Je crois devoir les rapporter telles que je les trouve dans ses papiers.

  1. Ce fac simile est ni ma possession.
  2. Je possède la copie du 3e livre de ce manuscrit.