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LA FEMME D’OR

due en attendant un nouvel éclair. Malgré ma résolution et mon courage, je tressaillis et fus envahi par un nouveau malaise. Dans le silence qui s’était fait après le coup de tonnerre, mon ouïe attentive fut frappée par le bruit d’une poitrine qui éclate sous la pression de sanglots… puis celui d’un ruissellement de larmes. J’écoutai, frémissant. Un troisième éclair perça la noirceur… la vision avait disparu. Seulement, dans la courte durée de cet éclair je pus voir que je n’étais pas derrière le buffet où je m’étais caché, mais au bout opposé de la salle à manger. Sans le savoir, sans m’en souvenir, j’avais abandonné mon lieu de refuge, et je me voyais tout à coup près de cet endroit de la salle à manger où, par deux fois, j’avais découvert une mare de sang. Je me sentis à nouveau repris par l’épouvante devant le terrible mystère qui m’enveloppait de toutes parts. Mais étais-je réellement éveillé ?… Certainement, puisque j’entendais à ce moment-là tout le chahut de l’orage au dehors. Le vent soufflait avec une violence telle qu’il semblait percer les murs et que je le sentais souffler dans mes cheveux. Je percevais la pluie battre contre les fenêtres comme des grêlons.

« À ce même moment je sentais en moi la folie irrésistible de revoir LA FEMME D’OR. Je décidai de faire de nouvelles recherches. Mais il fallait de la lumière ? Je savais qu’un beau lustre était suspendu au centre de la pièce. Si je pouvais trouver le bouton électrique ? J’avais des allumettes. Je frottai l’une d’elles. Mais à la même seconde je fus saisi par quatre bras vigoureux. De force on m’enfonça une poire d’angoisse dans la bouche, puis je fus ligoté, pieds et poings, soulevé, emporté. Puis je tombai… Il me semble bien que je tombai un siècle durant : la chute me parut interminable. Enfin, je touchai terre, ou plutôt je tombai sur quelque chose dont je ne pus déterminer la nature ; cela me parut dès l’abord un amas de matières quelconques qui, sous le poids de mon corps, craquèrent curieusement et crissèrent comme des os qui se brisent. Qu’était-ce ?

« Je n’eus pas le temps de résoudre ce problème. Une vive clarté jaillit tout à coup comme au travers d’une muraille. Je vis une cave, un sous-sol quelconque, mais je vis autre chose : le cercueil que j’avais vu là-haut ! Une autre chose acheva mon épouvante et mon horreur : je découvris que j’étais étendu sur un tas de squelettes. Et alors, comme si la muraille s’était ouverte devant moi, je vis apparaître une silhouette humaine, une silhouette qui flamboyait… c’était la FEMME D’OR ! Oui, elle était là, devant moi, radieuse et souriante. Mais son sourire, cette fois encore, me fit frissonner. Elle parla d’une voix à l’accent métallique… c’était comme une voix d’or.

Elle me dit :

— Jacques Audet, je t’aurais donné tout mon amour si tu avais su t’y prendre. Mais à cette heure, pour avoir tenté de pénétrer des secrets qui ne t’appartiennent pas, c’est ma haine que tu as recueillie !

« Elle fit un geste tragique.

« J’essayai de me soulever… je voulus parler… Un éclat de rire infernal retentit au-dessus de ma tête, et à la minute même l’obscurité se fit autour de moi. LA FEMME D’OR avait disparu. Alors, dans l’énorme silence qui suivit, je me posai ces questions brûlantes : où suis-je ? Que vais-je devenir ? Quelle était cette femme ? Comment me connaissait-elle… Je sentais mes cheveux tomber un à un sous l’horreur qui ne cessait de m’assiéger. Mais je n’étais pas au bout de mon supplice. Non… vous allez voir.

« Un brusque éclair troua la noirceur, un coup de tonnerre plus violent que les autres peut-être retentit. Et alors il me sembla que les fondations de la maison venaient de s’ouvrir, de s’écarter, de s’effondrer. En effet, une explosion épouvantable se produisit aussitôt, presque simultanément, je me sentis soulevé. Une clarté formidable m’environna, et dans cette clarté je vis passer LA FEMME D’OR… elle paraissait fuir dans une course affolée, désespérée. J’entendis des cris, des hurlements, des appels éperdus. Et j’étais toujours emporté sur mon nuage de lumière, et cette lumière me semblait des flammes ardentes qui me dévoraient.

« L’épouvante fut trop forte, je perdis connaissance. Le lendemain, mes amis, je me retrouvai sur une couche de l’Hôpital-Général.

— Ouf ! cria le reporter en essuyant son front moite.

— N’est-ce pas que c’est terrible ? demanda l’avocat en vidant son verre de vin.

— C’est incroyable ! déclara l’architecte dont tous les traits étaient livides.

— Mais LA FEMME D’OR ? interrogea Alban Ruel, n’as-tu jamais appris ce qu’elle était devenue ?

L’avocat n’eut pas le temps de répondre à cette question : car lui et ses deux compagnons venaient de se dresser avec effroi et stupeur ; car, par la porte ouverte de la pièce qu’ils occupaient et qui donnait sur un couloir qui conduisait d’un côté à un escalier communiquant avec les étages supérieurs, et, de l’autre, à une porte ouvrant sur la rue Saint-Dominique, oui, dans ce couloir une ombre humaine avait passé… une silhouette d’or, une ombre furtive et dorée, et les trois amis avaient murmuré, comme un écho perdu dans les espaces :

— LA FEMME D’OR !

Le premier, après le saisissement éprouvé, Alban Ruel s’était élancé vers le couloir. Ce couloir était désert. Audet et Lavoie l’avaient suivi. Dans l’escalier qu’on apercevait, personne.

Le reporter passa une main tremblante sur son front ruisselant et demanda :

— Est-ce que nous rêvons ?

— Non, répondit l’avocat d’une voix frissonnante, parce que LA FEMME D’OR existe encore, parce que nous l’avons vue ce soir AUX NOUVEAUTÉS, parce que nous venons de la revoir ici même !

— Mais alors, s’écria l’architecte, elle est dans cet hôtel ?

— Il n’y a rien d’impossible qu’elle y fût, dit l’avocat ; mais je suis sûr qu’elle ne s’y