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LA FEMME D’OR

Où l’avait-il entendue déjà ? Il se le demanda vainement.

— LA FEMME D’OR ! balbutia-t-il en extase.

Et, pourtant, à cette même seconde, sans qu’il pût dire pourquoi, sans la moindre raison, une sorte d’épouvante le mordit au cœur.

Mais la voix de la femme inconnue parlait :

— Oui… vous me reconnaissez, n’est-ce pas ?

— Je vous ai vue trois fois ce soir !

— Trois fois je vous ai souri !

— Mais je veux voir encore votre sourire… je veux voir… je veux voir ! s’écria Alban en délire.

— Chut ! pas si fort, mon ami !

— Pourquoi ? Quel est tout ce mystère ? Pourquoi ne faites-vous pas un peu de lumière ?

— Il n’y a aucun mystère, Alban. Mon mari est là ! Il est ivre, c’est vrai ; mais on ne sait pas… il pourrait entendre. Et alors…

— Alors ?

— Il pourrait vous arriver malheur !

— Vous êtes mariée ?

— Hélas !

— Pourquoi ? Hélas !

— On m’a contrainte à ce mariage !

— Vous n’aimez pas votre mari ?

— C’est un bourreau !

— Le misérable !

— Vous n’y pourriez rien : il est terrible et très dangereux.

— Fuyez-le !

— Il me retrouverait.

— Je vous défendrai !

— Il vous tuerait.

— Oh ! moi, je le tuerais plutôt ! Oui, je le tuerais, je le tuerais pour vous posséder ! Car je vous aime de toute la force de ma jeunesse ! Car je vous aime jusqu’au crime ! Car je vous aimerais jusqu’en enfer !

Un ricanement doux et peut-être moqueur résonna à ses oreilles.

— Oh ! ne ris pas… tu m’exaspères !

— Calmez-vous !

— Je veux te voir, te dis-je !

— Pas ce soir… plus tard !

— Cela veut dire jamais ! Et bien ! donne-moi tes lèvres en attendant !

— Non…

Alban cette fois, réussit à saisir l’inconnue à la taille, et il la serra avec force sur lui.

— Laisse-moi, Alban… de grâce laissez-moi !

Le jeune homme sentait la jeune femme se débattre avec vigueur dans ses bras.

— Tes lèvres ! fit Alban dans un délire d’amour.

— Non… non…

— Je le veux, quand je devrais mourir après !

— Qu’oses-tu dire ?

— Tes lèvres, te dis-je !

Et alors, par un effort brutal il approcha son visage, se pencha férocement et ses lèvres desséchées se posèrent durement sur les lèvres humides et chaudes.

L’inconnue poussa un cri de désespoir. Brusquement elle s’échappa des bras qui l’enserraient et cria, comme si l’épouvante l’avait dominée :

— Malheureux ! malheureux ! qu’avez-vous fait !

— J’ai baisé tes lèvres de déesse, ô femme ! s’écria Alban emporté par la folie des sens.

— Malheureux ! mes lèvres sont empoisonnées !

— Empoisonnées !

Alban s’était soudain dressé, hagard, fou d’épouvante, saisi de rage folle, rage de tigre, et il s’élança, ou plutôt il se rua pour ressaisir l’ombre de cette femme qui après l’avoir hypnoptisé, l’avait empoisonné d’un baiser.

Mais un choc violent contre sa poitrine le fit reculer, un second choc le fit rouler par terre, et, pour la seconde fois, ce soir-là, Alban Ruel, le petit reporter de la petite nouvelle, s’évanouit.


II

LE CERCUEIL ROUGE.


Des jurons grossiers, des blasphèmes, des gémissements, des cris de douleur, des ricanements infernaux, des bris de verre ou de cristal, des grincements d’acier, des chocs de métal… tout un vacarme monstrueux tira enfin le journaliste de son évanouissement.

Il ouvrit les yeux et se vit encore dans l’obscurité. Il étendit les mains et ses doigts touchèrent un tapis. Alors il se souvint qu’il était tombé après avoir été frappé à la poitrine deux fois. En effet, sa poitrine faisait mal, il lui semblait que quelque chose de très lourd était posé dessus. Il se souleva des coudes, se mit sur son séant et prêta l’oreille. Le bruit infernal lui parut alors comme une bataille, une bagarre quelconque, et cela semblait se passer dans une pièce voisine. Puis il entendit ces mots :

— Gueuse ! hurlait une voix de mâle enragé.

— Tyran ! répliquait une voix pleurante de femme.

Le jeune homme saisissait le bruit de coups de pied et de coups de poing.

Chancelant, il se leva tout à fait.

Un filet de lumière filtrait non loin de lui… oh ! presque rien ! Mais cela lui suffisait pour se guider. Il marcha en titubant vers le rayon de lumière. Bientôt il toucha des tentures. Lentement il les écarta, et son regard halluciné tomba sur une scène terrible.

Là, sous ses yeux, dans une petite pièce qui ressemblait à une cuisine, deux être humains étaient aux prises. Le jeune homme ne pouvait voir bien distinctement, parce que la pièce n’était éclairée que par une veilleuse. Mais il put voir un homme et une femme. La femme était à demi vêtue, et ce qui lui restait de vêtement n’était que lambeaux. L’homme, espèce de colosse à barbe noire et touffue, le visage coupé par une énorme moustache rouge — ce qui parut fort singulier à Alban — enserrait la taille de la femme, et de son poing dur il frappait de toute sa force.