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LA FEMME D’OR

gnifiance ! Tu crois pouvoir tout conquérir à la pointe de tes petites moustaches ! Tu penses à n’avoir qu’à relever ton bout de nez pour faire tomber à tes pieds l’humanité, et plus particulièrement la gent féminine ! Tu dresses fièrement ta petite tête comme le jeune coq qui essaye devant l’aurore nouvelle son premier cocorico ! Mais tu ne savais pas… Non… il arrive, vois-tu, que dans les réalités de la vie toutes ces petites manœuvres de jeune pédant s’effritent au contact de la rude écorce du monde ! Si tu montes sur tes ergots, jeune ergoteur, on te rabat la ciboule d’un coup de patte ! Il faut s’instruire avant, mon p’tit ami, il faut savoir à qui l’on aura affaire avant d’édifier ses bâtiments ! Car il peut arriver un Samson qui d’un petit coup d’épaule va tout envoyer au pêle-mêle des débris ! Et v’lan de toute ta petite personne ! Et v’lan de tous tes petits châteaux ! Et vl’an encore de toutes tes petites conquêtes ! Regarde-moi, je suis ton Samson !

— Vous êtes une brute ! rugit le reporter que la plus violente colère saisissait devant les terribles vérités que l’inconnu lui soufflait au visage.

— Une brute ? Oui, comme toi. Nous sommes, par politesse deux brutes humaines. Seulement, tu avoueras bien que je suis la plus forte.

— Que pensez-vous faire ?

— Je ne pense pas… je veux faire !

— Faire quoi ?

— Je veux me venger, puis je me servirai de ton cadavre pour sortir de ce trou. Tu vas voir.

Le mystérieux personnage éteignit sa lanterne.

Dans cette nouvelle obscurité Alban entendit encore le ricanement sourd de l’homme.

Puis, tout à coup, une main puissante le saisit à la gorge et serra avec une vigueur que le jeune homme était incapable de combattre.

— Si tu désires entrer en Paradis jeune imbécile, fais ta prière à Dieu !

La main serra…

Alban ferma les yeux et suivis le conseil qu’on lui donnait : au Ciel il jeta une pensée d’affolement !

Mais soudain la citerne s’emplit d’une lumière puissante. Cette lumière parut descendre des cieux mêmes. C’était comme un puissant rayon de soleil qui pénétrait dans cet enfer hideux.

Alban leva les yeux.

La brute mystérieuse leva les yeux à son tour.

Une main… mais une main menue, blanche, satinée apparut ! Cette main céleste semblait descendre dans la profondeur du cloaque ! Au bout de la main apparaissait un revolver brillant.

Une détonation éclata…

Une langue de feu glissa dans le trou et cette langue de feu frappa le colosse à la tempe droite !

Un long rugissement partit des profondeurs de la citerne. Alban sentit la main qui le tenait à la gorge se desserrer, lâcher. Puis il entendit un corps lourd tomber dans la boue, il sentit cette boue rejaillir sur ses joues et le maculer. Puis un silence terrible régna.

Il semblait maintenant au reporter qu’il piétinait sur un cadavre dans cette boue d’où il essayait de se déprendre. Il tentait de se cramponner aux parois humides de la citerne, à ces murailles glissantes recouvertes d’une sorte de limon puant ; mais il ne pouvait découvrir aucune aspérité : ses ongles se cassaient, ses doigts saignaient.

Et il enfonçait davantage ! Il pensait que le cadavre s’agrippait à ses jambes et l’entraînait vers le fond de cet abîme monstrueux !

Le vertige de l’horreur le saisit encore.

Il se mit à hurler… Ses hurlements lui retombaient sur la tête comme autant de coups de marteau.

Tout à coup il frémit d’un indicible espoir : il entendait quelque chose glisser le long des parois. Puis une voix douce murmura au-dessus de sa tête ce mot :

— Monte !

Instinctivement le journaliste tâtonna des mains autour de lui, et ses doigts s’accrochèrent à une échelle de corde.

Et alors, avec l’espoir de sortir vivant de cet enfer, il monta, plus fou de joie maintenant qu’il n’avait été fou d’épouvante !

Et, quand l’instant d’après, il se sentit sur un terrain plus ferme, il perdit tout à fait connaissance.

V

LE MAL D’AMOUR


Dans la noirceur qui l’entourait encore, toujours, le reporter souriait. Il souriait parce qu’il se croyait vivre dans une sorte de Paradis, après l’enfer qu’il avait traversé.

Il reposait doucement sur une couche molle, lui semblait-il, une couche bien parfumée ! Il s’ingéniait à s’assurer qu’il était dans le lit tiède d’une femme, et il s’efforçait de faire les plus beaux rêves. Il lui semblait encore entendre des voix d’anges murmurer des paroles d’amour, fredonner des chants d’ivresse !

Un souffle plus doux qu’un zéphir printanier caressait son front moite.

Une musique, mélodieuse entre toutes, jouait des airs célestes.

Alban s’amollissait dans un ravissement d’extase… et peu à peu il oubliait la terrible citerne, et, plus terrible encore, le monstre humain qui avait un moment tenu sa vie entre ses pattes immondes !

Non… cela n’avait été qu’un vilain cauchemar !

Il se souvenait de LA PETITE MODISTE DE LA RUE DEMONTIGNY. Son charme l’avait séduit, conquis ! Mais il se rappelait, mieux encore, la jolie enfant de bleu vêtue au sourire angélique qu’il avait trouvée dans l’atelier.

Maintenant, il tâchait de se persuader qu’il avait été malade, qu’un indisposition l’avait pris tout à coup, une indigestion peut-être, et que cette jolie et tendre enfant l’a-