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LA FEMME D’OR

vait bien doucement bien pieusement couché sur son lit à elle.

Ô délice !

Tout son être, à cette pensée, frémissait d’une vie nouvelle.

Alban Ruel, disons-le, n’avait pas seulement cherché la renommée et la gloire : il avait cherché l’amour !

L’AMOUR !

Jusqu’à ce jour inoubliable il n’avait pu trouver la femme capable de lui transfuser cette vie céleste qu’il avait tant convoitée dès sa plus tendre enfance.

Il n’avait voulu être aimé pour lui-même ; il n’avait pas réussi la conquête si difficile de la déesse qu’il avait imaginée !

Une fois, il avait pensé se faire aimer de LA FEMME D’OR !

Cela n’avait été qu’une illusion !

Après était survenu LA PETITE MODISTE ! Cet amour n’avait fait qu’éclore pour s’éclipser aussitôt. ! Et cela n’avait été qu’un trop court rayon de soleil dans son âme !

Mais voilà que, tout à coup, sans qu’il la cherchât, la dispensatrice des meilleures joies du monde venait de se montrer à lui ! Et quelle dispensatrice !…

Une jeune fille… toute jeune… une enfant de la plus sublime beauté !

Il ne l’avait encore qu’entrevue c’est vrai ; mais le souvenir de cette vision lui semblait impérissable !

D’ailleurs il savait qu’il allait la revoir !

Il s’assurait qu’elle était là, pas loin, tout près de lui !

Elle veillait sur lui !

Ne lui avait-elle pas tendu l’échelle libératrice ?

Ne l’avait-elle pas tiré de l’abîme ?

Ne l’avait-elle pas arraché à la mort affreuse ?

Pourquoi ?

N’était-ce pas par l’amour puissant qu’il avait su faire naître au cœur de cette jeune fille, de cette fée ?

Certes ! Car enfin, il était aimé !

Ah ! comme il allait aimer en revanche !

Et il n’avait qu’un signe à faire… il n’avait qu’un mot à dire un murmure à balbutier et de suite il verrait apparaître la fée… sa fée bienfaisante !

Alban Ruel se sentait maintenant mourir de joie !

Mais de même qu’il n’était mort ni d’horreur ni d’épouvante, de même Alban n’allait pas mourir cette fois encore ! Ne serait-ce pas stupide de mourir, quand un soleil nouveau se lève ?

Non, non, Alban allait vivre encore… mais non plus vivre dans ce beau rêve d’amour qu’il se plaisait à faire durer ! Tous les rêves ont leur réveil, hélas ! et le reporter se réveilla et un souvenir terrible le fit pâlir.

D’un coup il retomba de son ciel ! Il se revit aux prises avec le monstre humain dans la citerne gluante ! On l’en avait tiré, c’est vrai ; mais n’était-ce pas pour prolonger la torture qu’on s’ingéniait à lui faire endurer ? En dépit du bien aise matériel et moral qu’il ressentait après les affres de l’agonie, il commençait à douter des horizons de joies qu’il avait entrevus !

Un bruit curieux, seulement et vaguement entendu avait suffi pour souffler sur les rayons de son beau rêve.

Alban Ruel écouta avec une intense appréhension le bruit qui parvenait à son oreille.

— Mais où suis-je donc ? se demanda-t-il. N’est-ce pas le bruit de machines à coudre que j’entends là, dans une pièce voisine ?

Parfaitement. Aucun bruit autre que le ronronnement monotone d’une machine à coudre n’avait troublé le silence ! Mais ce n’était pas une machine à coudre… c’étaient dix machines au moins qui marchaient en même temps !

Alors le journaliste se représenta l’atelier de couture de LA PETITE MODISTE.

Voici ce qu’il se dit :

— Oui, j’ai été malade ! On m’a porté dans une chambre… peut-être celle de LA PETITE MODISTE elle-même ! Maintenant il est jour ! Je viens de m’éveiller ! Et comme on a fermé les rideaux des fenêtres, je demeure dans l’obscurité !

Il sourit… mais il n’était pas tranquille.

Les machines allaient… allaient…

Il se sentit tirailler par la curiosité, la curiosité de voir les fines silhouettes des couturières. Car il devait y avoir un bon nombre de couturières, puisque un bon nombre de machines marchaient ! Et, pourtant, il se rappelait n’avoir vu que deux ou trois de ces machines… peut-être quatre tout au plus !

N’importe il allait s’en assurer.

Tout doucement il se leva. Mais alors il se sentit très courbaturé… il gémit !

Un étourdissement lui fit voir des lueurs fugitives… de la main il se retint au bord du lit. Non ce n’était pas un lit ; c’était un sofa un divan quelconque… c’était peut-être une ottomane ! Quoi ! se trouvait-il encore dans le boudoir vert ? Allait-il revoir LA FEMME D’OR ? Ces coussins moelleux que sa main tripotait, il lui semblait en reconnaître le tissu qui les recouvrait ! Et il se rappelait cette scène d’amour avec LA FEMME D’OR, dans la même obscurité ! Et cette obscurité lui paraissait pénétrée des mêmes parfums puissants qui l’avait enivré autant que les paroles de feu de LA FEMME D’OR !

— Ah ! si j’avais des allumettes !

Qu’importe ! il fallait voir !

En tâtonnant il se dirigea vers le bruit des machines à coudre.

Il heurta un mur, ses doigts s’accrochèrent à des étoffes.

Vainement chercha-t-il une porte !

Rien… mais les machines allaient…

Il eut un vertige.

Allait-il appeler ?

Il n’osa pas, retenu par une gêne que sa volonté — en avait-il encore ? ne pouvait surmonter.

Il voulut réagir contre une telle faiblesse, mais une terrible défaillance l’abattit sur le plancher.

Il se releva.

— Oh ! ma tête ! ma tête ! gémit-il en portant