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LA FEMME D’OR

ses deux mains à son front.

Il demeura ainsi, immobile, écoutant les machines à coudre.

— Oh ! ces maudites machines ! grinça-t-il.

Finalement il s’enrageait.

Quoi tenter dans cette noirceur ?

Il se décida d’appeler… verrait bien ensuite !

Et il jeta un cri… mais un cri de désespoir dont il eut peur lui-même ! Si peur qu’il tomba… et il tomba sur la couchette ou le divan qu’il venait de quitter. Sans le savoir il y était revenu !

Mais à son cri le bruit des machines s’était tu. Un lourd silence plana pour une minute.

Puis soudain, une lumière brilla, et Alban Ruel se vit dans un joli boudoir tendu de bleu azur. Au même moment il revit la jolie couturière avec sa robe soie bleue, ses bas roses et ses petits souliers de satin noir.

Il frémit.

Souriante, la jeune fille était apparue entre deux tentures qu’elle avait écartées de ses mains fines.

— Vous m’avez appelée ? demanda-t-elle.

D’un œil stupide le journaliste la regarda.

— Vous sentez-vous mieux ? interrogea encore la belle enfant.

— Oui… un peu… répondit Alban qui, par un effort inouï, essayait de retrouver ses esprits.

— J’ai pensé qu’un peu de repos vous ferait du bien, dit la jeune fille.

— Vous vous intéressez un peu à moi ? demanda Alban avec un sourire maladif.

— Un peu !… Pourquoi ne dites-vous pas beaucoup ?

— Est-ce vrai ? Alban retrouvait tout à coup du sang, du cœur et de l’audace.

— N’en avez-vous pas la preuve ?

— Oui… merci. Ah ! je vous devrai beaucoup… peut-être plus que je ne pourrai payer !

— Bah ! pour un service…

— Un service, dites-vous ? Il n’y avait pas autre chose pour vous guider dans une action si charitable ?

— Il y avait peut-être un peu de pitié !

— De la pitié !

Alban se mit à rire avec sarcasme.

— À quoi pensez-vous et pourquoi riez-vous ainsi ?

— Pourquoi ? Mon Dieu ! le sais-je seulement ? Je pensais qu’il y avait un peu d’amitié entre vous et moi !

— De l’amitié ?

— Je voulais dire… de l’amour !

— De l’amour !… La jeune fille devint très grave. Elle se renfonça dans les tentures,

— Quoi ! je vous fais encore peur ?

— C’est votre langage singulier !

— Un langage d’amour… vous appelez ça singulier, vous ?

Alban s’était levé, repris par le même mal d’amour. C’était plus fort que lui devant la fée dont il avait rêvé ! Mais elle, d’un geste grave, l’arrêta.

— Rasseyez-vous ! commanda-t-elle. Vous êtes très malade !

— Allons donc ! je me sens très fort !

— C’est une illusion.

— Comme un rêve d’amour ? fit Alban en éclatant de rire.

— Encore ? s’écria la jeune fille avec plus de gravité.

— Toujours ! ma belle enfant. Quoi ! je t’aime, ne le vois-tu pas ?

— Ah ! vous m’aimez ?

— Je veux t’aimer, !

— Vous voulez…

— Je te veux… je te veux pour ma femme… ma petite femme !

Alban s’exprimait comme un homme ivre. De fait, il chancelait sur ses jambes, ses lèvres bredouillaient et tout son masque conservait un air stupide comme en imprima sur beaucoup de victimes la puissance de l’alcool.

La jeune fille demanda :

— Voulez-vous vous asseoir ? C’était plutôt un ordre impérieux.

Alban continua de rire d’un rire idiot. Puis, il exécuta un bond dans la direction de la jeune fille, les mains tendues en avant.

Mais l’obscurité se fit aussitôt, et le petit reporter alla donner de la tête contre un mur solide.

Il s’écrasa pantelant. Néanmoins, ce heurt parut le rappeler à lui-même, le dégriser pour ainsi dire

Il se releva lentement avec cette pensée unique :

— M’en aller d’ici !… Oui, je suis en train de faire un bouffon de moi !

Le mot qu’il avait appliqué à son ami Jacques Audet lui revenait à son insu, et il s’en apostrophait. Car alors sa raison revenait, renaissait ! Car alors seulement il était lâché par le mal d’amour ! Car alors…

Non… ce n’était pas possible… ce qu’il voyait là, devant lui, à deux pas !

Alban s’était soudain interrompu au moment où son regard, par une fissure pratiquée dans les étoffes, découvrait, dans la pièce voisine, une scène qui le frappa d’hypnotisme.

VI

LE DRAME DE L’ATELIER


Ah ! quelle vision atroce encore !

L’atelier était silencieux.

À la clarté d’une veilleuse posée sur un guéridon tout dans cet atelier demeurait tel qu’Alban l’avait trouvé ce soir-là en venant à son rendez-vous avec LA PETITE MODISTE. Mais était-ce bien le même soir ?

Il passa la main sur son front fiévreux.

Mais il n’avait pas le temps de pénétrer bien ayant dans ses souvenirs : devant lui une scène se déroulait, une scène si intéressante, si captivante qu’il n’en voulait perdre aucun détail.

Oui… là sur cette méridienne sur laquelle il s’était lui-même assis un moment, sur cette méridienne toujours entourée de ses mannequins revêtus des mêmes robes soyeuses qu’il avait admirées, oui, sur cette méridienne Alban apercevait un homme et une femme. Il remarqua, malgré la demi-obscurité de la pièce, oui, il remarqua que l’homme qui lui tournait le dos, avait l’un