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LA FEMME D’OR

très ondulés — mais le roux de ses cheveux n’était pas de ces roux qui choquent un peu le regard de l’homme. C’était un roux ayant plutôt la couleur jaune de l’or à l’état natif, et telle, du moins, apparaissait la chevelure de cette femme à la lumière du jour. Mais sous l’incendie des lustres électriques, ces cheveux prenaient la nuance du roux tendre, et des milliers d’effluves dorés s’en échappaient ; sur son front c’était comme une couronne d’or incrustée de petits diamants. Les yeux étaient d’or, les sourcils étaient d’or, les cils étaient d’or, et toutes ses robes étaient d’un tissu à nuance d’or. Bref, tout chez cette femme était or !

— Mais alors, cette femme devait être la plus belle des créatures humaines ? s’écria le reporter très intéressé.

— Jamais, mon cher ami, l’imagination de l’homme n’a créé de beauté comparable à celle-là ! Jamais, au cours de mon existence, je n’ai vu beauté plus parfaite, plus harmonieuse, plus séduisante, plus sublime ! Pas une déesse de l’Antiquité, pas une Vénus n’eût approché cette femme par la beauté ! Jamais femme n’a resplendi comme cette femme. Quand elle apparaissait à sa loge du Théâtre-Français, l’œil humain croyait voir surgir un bloc d’or ! C’est pourquoi, son nom étant demeuré inconnu, elle fut surnommée LA FEMME D’OR.

— Merveilleux ! s’écria le reporter en battant des paupières, comme s’il eût été ébloui par la vision soudaine d’un bloc d’or.

— Et mystérieux… tu vas voir. On était au mois de février. J’allais quitter mon bureau de la rue Notre-Dame, vers les cinq heures du soir, quand le téléphone vibra. On m’informait, et c’était une voix de femme qui parlait, qu’un meurtre venait d’être commis dans une maison de la rue Ontario-Est portant le numéro 666. Je voulus demander des explications, mais la communication me fut enlevée, J’interrogeai le « Central », mais on ne se rappelait plus le numéro de ce téléphone. Je décidai donc de me rendre rue Ontario. Comme j’étais seul à ce moment à l’agence, je téléphonai à l’un de mes collègues dont je connaissais l’habileté. Il promit de me rencontrer angle Saint-Laurent et Ontario. En effet, dix minutes plus tard, je trouvai mon camarade au rendez-vous. Nous prîmes un tramway et dix autres minutes après nous étions au numéro 666.

Le soir était venu. La maison était sombre et silencieuse. Elle se trouvait un peu écartée des habitations voisines et entourée d’un petit jardin planté de jeunes arbres qui, en la belle saison, devaient délicieusement ombrager les choses et les êtres. Mais, à ce moment, maison et jardin avaient à nos yeux un aspect de crime. Nous franchîmes la grille de la clôture. Cinquante pieds nous séparaient de la véranda qui agrémentait la façade de la maison. Bientôt je pressais un bouton électrique. Nous entendîmes le bruit argentin d’une sonnerie à l’intérieur. Mais personne ne répondit à l’appel. Je pressai le bouton de nouveau. Vaine attente. Mon camarade et moi décidâmes d’entrer. La porte n’était pas fermée à clef. Nous nous trouvâmes dans un hall. Je fis de la lumière. Quatre portes donnaient sur ce hall, mais une seule était ouverte : c’était la salle à manger. Là encore je fis de la lumière. À la même seconde mon camarade me saisit par un bras, et me désigna quelque chose sur le parquet ciré. Je me penchai et reconnus une mare de sang. Le sang était chaud. Mais il n’y avait là nul cadavre. Le silence régnait toujours dans la maison. Nous décidâmes de perquisitionner. Mais nos recherches furent vaines ; nul vivant comme nul mort. Et nous avions, pendant une heure, fouillé de la cave au grenier.

« Que faire ?… De suite je pensai à quelque mystification. Mais mon camarade était d’avis qu’un crime avait été commis, qu’il y avait eu témoin, mais que le cadavre avait été enlevé à la hâte par le meurtrier. Dans les circonstances, le mieux à faire était de nous retirer et de surveiller la maison. Pendant trois semaines, jour et nuit, nous demeurâmes en faction, nous relevant à tour de rôle. Mais durant ces trois semaines nous ne vîmes âme qui vive entrer ou sortir de la maison mystérieuse. Je décidai d’abandonner l’affaire.

« Deux jours après, n’ayant rien à faire à mon bureau, je résolus d’aller faire un tour dans les environs de la maison mystérieuse de la rue Ontario. Il était quatre heures de l’après-midi. Je partis à pied pour mieux me délasser. Quand j’atteignis la maison, je sentis une violente émotion étreindre mon cœur ; car, accrochée à la véranda, je voyais une pancarte sur laquelle étaient tracés ces mots :


Maison à vendre.
S’adresser rue Saint-Jacques No. 59.


« De suite la curiosité me porta vers la rue Saint-Jacques. Mais je m’arrêtai en songeant que le bureau en question devait être fermé, parce qu’à ce moment il était six heures. Je remis cette importante visite au lendemain. À cette époque j’avais ma pension rue Berri. Je rentrai chez moi très perplexe. Après souper, au lieu d’aller au théâtre comme j’avais décidé dans le cours de la journée, je repris le chemin de la rue Ontario. Une puissance mystérieuse semblait m’attirer vers cette maison étrange. Or, que ne fut pas mon étonnement de constater que la pancarte n’était plus là !

« La maison était toujours sombre et silencieuse. Demain, j’irai au No. 59 de la rue Saint-Jacques, me dis-je. Je saurai toujours bien à qui appartient cette maison. Et, pensif. je reviens sur mes pas, pris la rue Amherst. puis la rue Craig, ensuite la rue Saint-Laurent, et, à mon insu, je me trouvai devant l’édifice où se trouvait mon bureau. Sans but défini j’entrai. J’étais là depuis cinq minutes à peine que la sonnerie du téléphone vibra. Je saisis l’appareil. Je sursautai de stupeur : une voix de femme me disait qu’un homme venait d’être assassiné dans la maison même devant laquelle j’étais passé une demi-heure avant. C’en était trop. Je quittai mon bureau en toute