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LE DÉFRICHEUR.

« Ô heureux, mille fois heureux le fils du laboureur qui, satisfait du peu que la providence lui a départi, s’efforce de l’accroître par son travail et son industrie, se marie, se voit revivre dans ses enfants, et passe ainsi des jours paisibles, exempts de tous les soucis de la vanité, sous les ailes de l’amour et de la religion. C’est une bien vieille pensée que celle-là, n’est-ce pas ? elle est toujours vraie cependant. Si tu savais, mon cher ami, combien de fois je répète le vers de Virgile :

Heureux l’homme des champs, s’il savait son bonheur !

« Ce qui me console un peu, mon cher ami, c’est que toi au moins tu seras heureux : tu es tenace et courageux ; tu réussiras, j’en ai la certitude. Donne-moi de tes nouvelles de temps à autre et sois sûr que personne ne prend plus d’intérêt que moi à tes succès comme défricheur, et à ton bonheur futur comme époux. »


« Ton ami dévoué,

« Gustave Charmenil. »


Cette lettre causa à notre héros un mélange de tristesse et de plaisir. Il aimait sincèrement son ancien camarade et tout son désir était de le savoir heureux. Le ton de mélancolie qui régnait dans sa lettre, les regrets qu’il laissait échapper, faisaient mal au cœur de Jean Rivard. D’un autre côté, la comparaison qu’il y faisait de leurs situations respectives servait à retremper son courage et à l’affermir plus que jamais dans la résolution qu’il avait prise.

Dans les derniers jours de l’automne, vers l’époque où la neige allait bientôt couvrir la terre de son blanc