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LE DÉFRICHEUR

Jean Rivard eut à répondre. Il n’en fut quitte qu’après avoir raconté dans le détail le plus minutieux tout ce qu’il avait fait depuis son départ de la maison paternelle.

De son côté, notre jeune homme, qui depuis six mois n’avait reçu aucune nouvelle de Grandpré, brûlait d’apprendre ce qui s’y était passé. Les décès, les naissances et les mariages sont les principaux sujets des conversations dans les familles de cultivateurs. En entendant l’énumération faite par sa sœur Mathilde des mariages contractés durant le dernier semestre, il lui fallait se tenir le cœur à deux mains pour l’empêcher de battre trop fort. Mais il fut bientôt tranquillisé en apprenant que Mademoiselle Louise Routier était encore fille et ne paraissait nullement songer à se marier.

Est-il besoin de dire qu’il s’empressa d’aller dès le soir même visiter la famille Routier, et qu’il passa près de sa Louise plusieurs heures qui lui semblèrent autant de minutes ?

En le voyant entrer, Louise fut un peu émue ; une légère rougeur couvrit ses joues, et Jean Rivard la trouva plus charmante que jamais. Chose singulière ! ces deux amis d’enfance, qui avaient si souvent joué et badiné ensemble, qui s’étaient tutoyés depuis le moment où ils avaient commencé à bégayer, éprouvaient maintenant vis-à-vis l’un de l’autre je ne sais quelle espèce de gêne, de réserve timide et respectueuse. En s’adressant la parole, le vous venait involontairement remplacer le tu familier d’autrefois. Le père et la mère Routier, qui remarquaient ce changement, ne pouvaient s’empêcher d’en sourire.