Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ma fortune, à mon grand regret, ne me permet pas de le restaurer : je suis donc décidé à le vendre pendant qu’il est encore debout.

Joseph accueillit cette idée à peu près comme la proposition d’un sacrilége : mais il n’avait pas le franc parler de son père, il n’osa dire ce qu’il pensait.

— Sera-t-il bien difficile, poursuivait Louis, de vendre cette masure.

— Cela dépend du prix, monsieur le marquis ; je connais un homme des environs qui en ferait son affaire, si on le lui cédait à bon marché.

— Et quel est cet homme ?

— Un certain Fougeroux, qui demeure de l’autre côté du Rhône, au mas de la Montagnette. C’est un gars de Beaucaire, qui a épousé, il y a une douzaine d’années, une servante de la défunte comtesse de La Verberie, dont monsieur le comte se souvient peut-être, une grosse, très-brune, nommée Mihonne.

Louis ne se souvenait pas de Mihonne.

— Quand pourrons-nous voir ce Fougeroux ? demanda-t-il.

— Aujourd’hui même, là, en traversant le Rhône dans le bateau du passeur.

— Eh bien ! allons… je suis pressé.

Une génération entière avait disparu, depuis que Louis avait quitté sa province.

Ce n’était plus le vieux matelot de la République, Pilorel, qui « passait le monde, » c’était son fils.

Mais, celui-là aussi avait le respect de la tradition. Quand il sut le nom de cet étranger qu’accompagnait Joseph, il se hâta d’apprêter sa barque, et en moins de rien il fut avec ses passagers au milieu du courant.

Pendant que Pilorel fils ramait de toutes ses forces, Joseph s’efforçait de mettre le marquis en garde contre les ruses de Fougeroux.

— C’est un fin renard, disait-il, trop fin, même. Je n’ai jamais eu bonne idée de lui, depuis son mariage, qui n’a pas été une belle action. La Mihonne avait bien cin-