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CONSTANTINOPLE.

en devint passionnément amoureux et parvint à faire arriver jusqu’à elle un de ces bouquets symboliques dans lesquels l’Orient sait écrire ses aveux en lettres de fleurs. Malheureusement, parmi les touffes d’hyacinthes et de roses s’était tapi un aspic qui mordit la princesse au doigt. Elle allait mourir, faute de trouver personne assez dévoué pour sucer la plaie ; mais le jeune prince, cause de tout le mal, se présenta, pompa le venin de ses lèvres passionnément courageuses, et sauva Mehar-Schegid, que Mohammed lui donna pour femme.

La vérité est que cette tour ou du moins une équivalente, bâtie par Manuel Comnène, au temps du Bas-Empire, servait à soutenir la chaîne qui, rattachée à deux autres points sur les rives d’Europe et d’Asie, barrait l’entrée de la Corne-d’Or aux vaisseaux ennemis descendus de la mer Noire. Si l’on veut remonter plus loin, on trouve que Damalis, femme de Charès, le général envoyé d’Athènes au secours des habitants de Byzance, attaqués par la flotte de Philippe de Macédoine, mourut à Chrysopolis et fut enterrée sur cet îlot, dans un monument surmonté d’une génisse.

Une inscription grecque que l’on a conservée était inscrite sur la colonne du tombeau, et de là vient, sans doute, la vraie origine du nom de Kiss-Koulessi, — la tour ou le tombeau de la jeune femme. Voici cette épitaphe : — « Je ne suis pas l’image de la vache, fille d’Inachus, et je n’ai pas donné mon nom au Bosphore qui s’étend devant moi. — Celle-là, le cruel ressentiment de Junon l’a poussée autrefois au delà des mers ; moi qui occupe ici ce tombeau, je suis une morte, fille de Cécrops. J’étais la femme de Charès, et je naviguais avec ce héros quand il vint combattre les vaisseaux de Philippe. Jusqu’alors on m’avait appelée Boïidion, la petite Génisse, maintenant, femme de Charès, je jouis de deux continents. »