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LA RUPTURE DU JEÛNE.

Ces vers expliquent pourquoi une génisse était sculptée sur la colonne funèbre de Damalis. On sait que, chez les Grecs, la vache a fourni plus d’un sujet de comparaison flatteuse, et qu’Homère donne à Junon des yeux de génisse. Boïidion est donc un surnom gracieux dans les idées antiques, et qu’il ne faut pas s’étonner de voir s’appliquera une belle jeune femme. — Mais voici assez de grec, revenons au turc.

— Il est d’usage qu’à la rupture du jeûne, la validé fasse cadeau au sultan d’une fille vierge et de la beauté la plus parfaite ; pour trouver ce phénix, les marchands d’esclaves ou djellabs fouillent plusieurs mois d’avance la Géorgie et la Circassie, et son prix monte à des sommes énormes ; si la jeune vierge conçoit dans cette bienheureuse nuit, on en tire un présage favorable à la prospérité de l’empire. Par un contraste bizarre, les croyants, pendant les sept jours qui suivent la rupture du jeûne, s’abstiennent de tout rapprochement charnel avec leurs femmes, de peur de procréer des enfants difformes, monstrueux, ou défigurés par des taches, en sorte que Sa Hautesse est le seul homme de l’Islam à qui les plaisirs de l’amour soient alors permis ; heureux sultan !

La journée est consacrée à des prières, à des visites aux mosquées, et, le soir, il y a illumination générale. Si la vue du port, avec tous ses vaisseaux pavoisés et son perpétuel mouvement de barques, était déjà un spectacle merveilleux sous le soleil splendide d’Orient, que dire de la fête nocturne ? C’est, ici que l’on sent l’impuissance de la plume et du pinceau ; le diorama seul pourrait, à l’aide de ses changeants prestiges, donner une faible idée de ces magiques effets d’ombre et de lumière.

Des décharges d’artillerie qui se succédaient sans relâche, car les Turcs aiment énormément à brûler de la poudre,