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CONSTANTINOPLE.

pourries de vétusté autant de morceaux d’amadou prêts à s’enflammer à la moindre étincelle ; aux sortiléges jetés par le mystérieux bateau à vapeur sans roue et sans cheminée, comme le croyait fermement la populace ; à des corporations de charpentiers curieux de se créer de l’ouvrage, ou à une cause politique, ainsi qu’en étaient persuadés des gens bien au fait des mœurs orientales ?

À la suite du Ramadan, qui, par ses jeûnes et ses exercices de piété, exalte les imaginations, il se manifeste ordinairement une recrudescence de fanatisme, et ce mouvement des esprits n’était pas favorable à Reschid-Pacha, alors ministre, accusé de pencher vers les idées européennes, et regardé presque comme un giaour par les vieux Turcs en caftan vert et en gros turbans, pareils à ces mannequins habillés que l’on conserve derrière les vitrines de l’Elbicei-Atika, ce cabinet de Curtius de l’ancienne nationalité ottomane. Quoiqu’il y ait à Constantinople un journal français très-bien dirigé par M. Noguès, comme ce journal est subventionné par l’État, l’opposition, au lieu de faire des articles, allume un quartier, manière significative de témoigner sa mauvaise humeur, — on le dit, du moins, — nous avons peine à le croire, bien que ce moyen fût employé autrefois par les janissaires mécontents ; d’autres voyaient dans ces incendies qui, à peine éteints, se rallumaient sur un autre point de la ville, la torche ou du moins l’allumette chimique de la Russie essayant d’indisposer la population contre la France ; mais le courage avec lequel l’équipage du Charlemagne courait au feu, M. Rigaud de Genouilly en tête, grimpant, la hache en main, sur les maisons embrasées, disputant les victimes aux flammes, lui eût bientôt concilié la bienveillance générale. Reschid-Pacha fut remplacé par Fuad-Effendi, continuateur de ses idées. Cette légère concession ramena le calme dans les esprits, et les incendies s’arrêtè-