Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
CONSTANTINOPLE.

rose, émaillée et dorée, des pots en porcelaine de Chine pleins d’un tabac blond et soyeux, promettaient au fumeur les délices du kief ; quelques-unes de ces petites tables incrustées de nacre, basses comme des tabourets, qui servent à poser les plateaux de confitures et de sorbets, complétaient l’ameublement.

Comme il faisait très-chaud, nous déjeunâmes en plein air sous une sorte de portique faisant face au jardin, planté de vignes, de figuiers et de citrouilles. Notre repas se composait, de poissons frits dans l’huile d’une espèce particulière qu’on appelle scorpions à Constantinople, de côtelettes de mouton, de concombres farcis de viande hachée, de petits gâteaux au miel, de raisins et de fruits, le tout arrosé de deux sortes de vins grecs, l’un doux avec un léger goût muscat, l’autre rendu amer par une infusion de pommes de pin, — souvenir de l’antiquité, — et ressemblant assez au vermout de Turin.

Les plats étaient apportés par une petite servante de treize à quatorze ans, qui, dans son empressement, faisait claquer, sur la mosaïque de cailloux dont la cour était pavée, les semelles de bois passées à ses pieds nus. Elle les allait prendre sur le fourneau où les cuisinait un gros Arménien ventru à face rubiconde, à nez de perroquet, qui avait, en son genre, un grand talent ; car je n’ai rien mangé de meilleur que les concombres farcis apprêtés par ce Carême asiatique, à qui j’exprime ici la satisfaction d’un estomac reconnaissant. Comme les jouissances culinaires sont rares en Turquie, il est bon de les noter.

Le repas fini, nous allâmes prendre le café et fumer une pipe sous les grands arbres qui bordent pittoresquement la côte escarpée de la baie ; des musiciens miaulaient je ne sais quelle complainte avec ces intonations gutturales, ces cadences bizarres, ces nasillements mélancoliques dont on a