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CONSTANTINOPLE.

des Champs-Élysées, une femme du harem, enveloppée de ses draperies orientales ; le contraste est si brusque, qu’il choque comme une dissonance. Il y avait aussi beaucoup de cavaliers et de piétons qui grimpaient plus ou moins allègrement les déclivités abruptes de la montagne, en décrivant de nombreux zigzags.

Sur une espèce de plateau à mi-côte, au delà duquel les chevaux ne pouvaient plus monter, stationnait un nombre considérable de voitures attendant leurs maîtres, échantillons de la carrosserie turque à toutes les époques, assez réjouissants, et formant un pêle-mêle très-pittoresque où un artiste eût pu trouver un joli sujet de tableau. Je fis ranger mon talika en un lieu où je pusse le retrouver, et continuai à gravir. De distance en distance, sur des espèces de remblais formant terrasse, se tenait, à l’ombre d’un bouquet d’arbres, une famille arménienne ou turque, reconnaissable aux bottines noires ou jaunes et aux visages plus ou moins voilés ; quand je dis famille, il est bien entendu que je parle des femmes seulement. Les hommes font bande à part et ne les accompagnent jamais.

Sur le sommet de la montagne étaient installés des cawadjis avec leurs fourneaux portatifs ; des vendeurs d’eau et de sherbet, des marchands de sucreries et de pâtisserie, accompagnement obligé de toute réjouissance turque. Rien n’était plus gai à l’œil que ces femmes vêtues de rose, de vert, de bleu, de lilas, émaillant l’herbe comme de fleurs et respirant le frais à l’ombre des platanes et des sycomores ; car, bien qu’il fît très-chaud, la hauteur du lieu et la brise de la mer y faisaient régner une température délicieuse.

De jeunes Grecques, couronnées de leurs diadèmes de cheveux, s’étaient prises par la main et tournaient sur un air doux et vague comme la Ronde des astres de Félicien David. Elles ressemblaient, sur le fond clair du ciel, au