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les cruautés de l’amour

Lorsqu’elles furent assises, il regarda attentivement la mère de Juliette, pour tâcher de lire sur son visage la tendresse ou la dureté de son cœur, et pour voir s’il avait quelque chance de le toucher.

Pendant cet examen, Maurice subit une douloureuse impression, grâce à sa nature nerveuse et impressionnable à l’excès : il ne put voir froidement, sur le visage de Mme Manivaux, les traits de Juliette vieillis, déformés, grossis et dégradés par le temps implacable.

— Voilà donc comment elle sera un jour ! se disait-il avec terreur.

Cependant, secouant ces vilaines idées, il alla inviter Juliette pour une valse. Elle le reçut avec un doux regard, et lui répondit : « Oui, monsieur, » dans un demi-sourire d’intelligence. Bientôt Maurice l’enlaça et l’entraîna rapidement, tout frémissant de bonheur. Pendant la première moitié de la valse, il ne put rien dire ; il se sentait trop ému pour parler ; il lui semblait impossible que cette jeune fille, qu’il épiait chaque jour de loin, à laquelle il rêvait chaque nuit, sans transition, sans lui avoir jamais parlé, il la tînt en ce moment entre ses bras. Il respirait le parfum de ses cheveux, suivait le va-et-vient de son souffle et les battements