Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/436

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On leva l’ancre, les rameurs nus et frottés d’huile se courbèrent sur leurs bancs, et la nef s’ébranla.

C’était une belle nef nommée l’Argo ; elle était construite en bois de cèdre, qui ne pourrit jamais. Le grand mât avait été taillé dans un pin du mont Ida ; il portait deux grandes voiles de lin d’Égypte, l’une carrée et l’autre triangulaire ; toute la coque était peinte à l’encaustique, et sur le bordage on avait représenté au vif des néréides et des tritons jouant ensemble. C’était l’ouvrage d’un peintre devenu bien célèbre depuis, et qui avait débuté par barbouiller des navires.

Les curieux venaient souvent examiner le bordage de l’Argo pour comparer les chefs-d’œuvre du maître à ses commencements ; mais, quoique Ctésias fût un grand amateur de peinture et qu’il se plût à former des cabinets, il ne jeta pas seulement ses yeux sur les peintures de l’Argo. Il n’ignorait pourtant pas cette particularité, mais il n’avait plus de place dans le cerveau que pour une idée, et tout ce qui n’était pas Plangon n’existait pas pour lui.

L’eau bleue, coupée et blanchie par les rames, filait écumeuse sur les flancs polis de la trirème. Les silhouettes vaporeuses de quelques îles se dessinaient dans le lointain et fuyaient bien vite derrière le navire ; le vent se leva, l’on haussa la voile, qui palpita incertaine quelques instants et