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LES ANIMAUX DE PARIS

« D’où viens-tu boitant, pauvre cheval gris pommelé ?

— Je viens de Paris, mon petit ami.

— Qu’est-ce que tu me diras de Paris ?

— Ah ! je le connais bien ; j’y étais cheval d’omnibus, et je courais du matin au soir le long des boulevards. Une belle ville ! mais n’y va pas, si tu m’en crois : on y a trop de mal. Du monde qui court sans jamais s’arrêter, des voitures les unes sur les autres, de la boue à volonté, et des coups de fouet plus qu’on n’en veut : voilà Paris. C’est un enfer. »


« D’où viens-tu roucoulant, beau pigeon ramier ?

— Je viens de Paris, mon petit ami.

— Tu as eu bien du mal à Paris ?

— Qu’est-ce que tu dis là ? Je connais Paris mieux que personne, je suis un pigeon des Tuileries. C’est bien l’endroit le plus tranquille et le plus ravissant qu’on puisse voir. On y a l’ombre et la liberté ; des grands bois sans éperviers, ni chasseurs, et sans dénicheurs de nids. De jolis enfants qui dansent et qui rient, des dames qui se promènent avec des robes plus belles que l’arc-en-ciel, des messieurs bien polis qui s’en vont le soir pour vous laisser dormir toute votre nuit : voilà Paris. C’est un paradis. »


« D’où viens-tu bêlant, bon mouton blanc ?

— Je viens de Paris, mon petit ami.

— On est bien heureux à Paris ?

— Qu’est-ce que tu dis là ? J’en suis encore tout tremblant, moi, pauvre mouton du Berry, qui me réjouissais tant de voir Paris. Figure-toi des hommes en veste rouge, avec de grands couteaux reluisants, et les bras tachés de sang jusqu’au coude ; des chiens énormes dont la vue seule te ferait frémir ; et de vilains crochets de fer où les animaux tués sont suspendus la tête en bas. On allait bien sûr me couper la gorge ;