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VISAGE


Mais j’ai toujours de la veine : je n’ai été blessé qu’une fois.

Ces deux phrases retentissaient encore à mes oreilles quand celui qui les avait prononcées fit flamber une allumette et se mit à fumer. La lueur éclaira furtivement un charmant visage. L’homme appartenait à un corps réputé. Les insignes des suprêmes récompenses que l’on peut accorder aux jeunes officiers luisaient sur sa vareuse d’ocre. Toute sa personne respirait un courage tranquille et raisonneur.

La nuit reprit possession de l’espace. Mais y aura-t-il jamais nuit assez épaisse pour me ravir l’image entrevue dans cet éclair ? Y aura-t-il jamais silence assez pesant pour étouffer l’écho des deux petites phrases murmurées dans le bourdonnement du train ?

J’y ai souvent songé depuis, chaque fois que, comme ce soir-là, plein d’angoisse et d'amour, je me suis tourné tour à tour vers le passé et vers l’avenir de ces Français, mes frères, qui, en si grand nombre, ont accepté de mourir sans renoncer à exprimer ce qui leur tenait au cœur, de ces Français dont le monde connaît trop mal et la grandeur d’âme, et l’indomptable intelligence, et la touchante naïveté.