Page:Ginisty - Le Mélodrame, Michaud.djvu/17

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cédés. Il vint à son heure, fit sa tâche, prépara l'avenir à sa façon, fournit quelques-unes des armes sous lesquelles il devait succomber. Longtemps encore, alors qu'il paraissait déjà accablé sous le ridicule, il put se redresser, d'aventure, comme un invalide en qui on ne voit plus, soudain, à quelque geste épique, que le héros d'antan.

Le mélodrame, cette tragédie populaire, qui se hâte vers son but, en cherchant avant tout l'effet, n'est pas né tout d'une pièce. Il est le fils dévoyé du drame sentimental qu'essaya la fin du XVIII ème siècle, non sans résistance ; il a mis en œuvre des théories de Diderot, d'une façon que Diderot n'eût pas prévue ; il a reçu des leçons de Beaumarchais, du Beaumarchais de la préface d' Eugénie : « Il est temps d'intéresser un peuple et de faire couler ses larmes sur un événement tel qu'on le suppose véritable et passé sous ses yeux, entre des citoyens ; il ne manquerait jamais de produire de l'émotion. L'éclat du rang n'ajoute rien à la pitié qu'inspirent les malheurs... Le spectacle de la vertu persécutée, mais toujours généreuse, engage l'homme sensible à des retours sur soi-même... La véritable éloquence du drame est celle des situations...» Le mélodrame est en germe dans les conceptions de Mercier, cet homme à idées, qui ne savait pas toujours où il allait.

« Pourquoi fermez-vous votre théâtre au peuple, nation orgueilleuse ou avare ! s'écrie Mercier sur le ton déclamatoire qui lui est cher. Si vous jugez le spectacle utile, de quel droit en privez-vous la partie la plus nombreuse de la nation ? Pourquoi la renvoyez-vous sur les boulevards entendre des pièces licencieuses, où triomphent le vice et la grossièreté... Le pauvre a cependant plus besoin qu'un autre de pleurer et de s'attendrir... il apprendrait peut-être à souffrir avec plus de patience en voyant la nation assemblée ne point fermer son oreille aux accents de l'infortune...