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premier volume 1878-1915

Quelques jours à peine avant de quitter la France, il nous serait donné d’assister à Paris, à une autre réunion, et celle-ci combien différente et pittoresque. Grand rassemblement de l’Action française à la salle Wagram. En ces années 1909, le mouvement néo-royaliste connaît son plein essor. Il gagne activement les milieux de jeunesse et s’acquiert, dans le monde intellectuel, de retentissantes conquêtes. Ce soir-là, parleront à la salle Wagram, Léon Daudet, mais surtout Jules Lemaître, récent converti à la cause monarchique. Encore cette fois mes amis Lebon et l’abbé Arthur Papineau, futur fondateur du Collège Saint-Jean-sur-Richelieu et futur évêque de Joliette, et moi-même, nous décidons de ne pas manquer l’aubaine. À notre arrivée, les entours de la salle en sont presque déjà à la dangereuse température de l’émeute. Un régiment de gardes à cheval occupe la rue. Les camelots du roi, agitant canne et béret, crient à tue-tête : « Lisez L’Action française, le plus grand journal de la France ! » À l’intérieur de la salle, une foule dense, émotive, souvent houleuse. Sur l’estrade, on se montre, outre les orateurs annoncés, le président de la Ligue d’Action française, Bernard de Vesins, puis Charles Maurras, Paul Bourget. L’auditoire scande, d’applaudissements rythmés, les phrases chargées de poudre de chacun des orateurs ; et le battement des mains s’accompagne d’un Vive le Roi, qui, répété jusqu’à la vingtaine, porte au plus haut degré la fièvre collective. Quelques interruptions viennent tout près de provoquer des rixes. Les noms de Marc Sangnier et du Sillon lancés dans l’air sont abondamment conspués. C’est ce soir-là que Jules Lemaître prononce son allocution restée fameuse : « On nous dit améliorons la République. Est-ce qu’on améliore la peste ? Est-ce qu’on améliore le typhus ?… » Petites phrases que l’orateur prononce du ton de l’académicien le plus serein. Mais l’on imagine les rigolades et les manifestations dans l’assemblée. À la fin de la réunion et pour la clore, l’on annonce Léon Daudet. Remous dans la foule. Debout on acclame. Je suis curieux de voir le personnage. Au bord de la tribune, un homme s’avance, plu-