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mes mémoires

mot, où le temporel et l’humain restent à leur rang, et, sans doute, restent aussi dans un refus absolu de toute forme d’angélisme. Ce qui ne signifie point assurément, comme on l’a tant de fois prétendu : la religion, l’Église pour la patrie, pour la nationalité, la langue, mais le terrestre, le temporel s’ordonnant et se laissant ordonner vigoureusement par le spirituel pour les fins les plus hautes de l’homme, les fins les plus hautes du pays et du monde. L’urgent devoir de toute nation, c’est d’abord de se bien porter soi-même, disions-nous. Nous ne voulions ni ne cherchions autre chose.

J’ajouterai qu’en outre, la doctrine nationaliste d’il y a cinquante ans s’offrait à nous avec cet autre prestige d’un rajeunissement de la vie politique et d’une reprise décisive de notre ligne historique. Elle nous débarrassait des clichés et de l’infantilisme de pensée où tentaient de nous maintenir les équipes des vieux partis. Pour la province de Québec, notre province, être nationaliste, c’est alors préconiser la nationalisation de la vie politique et économique ; c’est, dans tous les ordres, préparer un renouveau de la petite patrie. Pour le Canada, c’est la reprise de l’effort qui, depuis la Conquête, n’avait cessé de nous entraîner à l’émancipation complète de toute forme de colonialisme. C’est par cela, plus encore que par le verbe brûlant d’un Bourassa, que la doctrine nouvelle a séduit notre génération. Un peuple jeune, une génération de jeunes hommes se laissent facilement prendre par l’espoir fascinant de mener la petite et la grande patrie à l’âge adulte, débarrassées pour toujours des tutelles avilissantes. Que voulez-vous ? Un temps vient où un peuple se sent majeur, capable de marcher sans béquilles ; de ce jour, il ne peut souffrir qu’avec crispation, sur la terre natale, la domination de l’or étranger et le flottement d’un drapeau étranger. Doctrine, sentiment, je le sais, qui dérangeaient alors bien des routines et un loyalisme vieillot. Pour combien de la vieille génération, vers 1900, le statut colonial paraissait quelque chose de clos, de définitif. Qu’avions-nous besoin d’aspiration à l’autonomie et surtout à l’indépendance regardée ou presque comme une hérésie politico-religieuse ? En des thèses pesantes, des ecclésiastiques se feront les cariatides d’un empire vermoulu et se donneront l’émoi de saint Augustin devant l’écroulement de l’Empire romain. L’école nationaliste