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deuxième volume 1915-1920

Ce soir, à huit heures et quart, dans la grande salle de l’Université Laval, M. l’abbé Groulx commencera son cours public d’histoire du Canada. Ce cours, depuis sa fondation, est l’un de ceux qui réunissent les auditoires les plus nombreux, les plus attentifs. L’orateur bénéficie du réveil, auquel il a si fortement contribué, qui porte vers les choses du pays la curiosité du public. Il a ce grand avantage aussi de rendre la science aimable, d’exprimer dans une langue harmonieuse et souple le résultat de ses recherches. Puis, il ne s’en tient pas au simple récit des faits ; il essaie d’en dégager la philosophie. Sa parole ouvre de larges horizons, de vastes perspectives. Puis encore, l’auditoire sent bien que le professeur n’aborde point ce cours comme une leçon d’algèbre ou de trigonométrie. C’est de la vie qu’il manie, de la vie qui fut celle de nos pères et qui peut être créatrice d’un généreux avenir. Lui-même, dans un récent article de L’Action française, s’est assez clairement expliqué sur le sentiment qui l’anime.

Cette part faite au compliment d’une amitié trop bienveillante, M. Héroux cite assez longuement cet article de L’Action française où je me suis expliqué sur ma conception de l’histoire nationale et de son enseignement :

Ma conception de l’Histoire

L’histoire nationale n’est point une matière de caractère spéculatif comme les langues mortes ; elle n’est pas uniquement un moyen ou un élément de culture générale. C’est une science pratique qui prétend à la conduite de la vie. Elle a pour fin d’orienter toute une catégorie d’actes humains, quelques-uns des plus élevés après ceux de la religion ; elle est le catéchisme des croyances et de la morale patriotiques… L’histoire ne conserve point le passé à l’état de matière inerte, stérilisée. Elle conserve et transmet de la vie ; elle peut être un multiplicateur de forces. Par elle les vertus et les forces des vivants s’augmentent à chaque génération des forces et des vertus des morts. Sans l’histoire, nous ne garderions dans le mystère de nos nerfs et de nos âmes, que de vagues tendances, que des vestiges presque informes de la vie et des héroïsmes anciens. Là s’arrêterait la transmission parcimonieuse du sang et ainsi s’anéantiraient peu à peu tant d’efforts séculaires pour amener jusqu’à nous l’âme enrichie