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mes mémoires

conversation s’aiguille un moment vers l’enseignement classique et vers les réformes opportunes. J’ai, sur le sujet, avec l’Archevêque de Québec, un long entretien sur un coin de la galerie. Je lui développe un projet de réforme qui m’a toujours été cher : projet d’une réforme à trois paliers qui, à mon sens, eût résolu les problèmes les plus criants. D’abord, recrutement, dès le collège, des futurs éducateurs, puisqu’il s’agit d’un ministère très spécial, et que l’Église, au Canada français, tient, dans l’enseignement à tous les degrés, un rôle exceptionnel ; deuxièmement, au Grand Séminaire, attention continue, accordée par les évêques, à ces sujets destinés aux collèges : retraites spéciales pour eux, lectures spirituelles spéciales de temps à autre, cercle pédagogique, invitation de spécialistes à ce cercle, le tout en vue d’orienter les études théologiques et la formation ascétique de ces jeunes gens vers leurs tâches futures ; troisièmement, fondation pour ces aspirants-éducateurs, d’une École normale supérieure, école obligatoire pour tous, même pour les maîtres de discipline ; puis, pour les plus brillants, et pour achever leur spécialisation déjà commencée à l’Université canadienne, un séjour de deux ou trois ans dans une université européenne. L’Archevêque prend des notes, me demande même un mémoire sur la question, mémoire que je lui fais parvenir. Il entend se servir de ce mémoire pour des conférences qu’il doit prononcer au Collège de Lévis, à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, une autre plus tard à huis clos, lors d’un congrès d’enseignement secondaire à Joliette. Il est tellement pris par la gravité et l’opportunité de cette réforme qu’il en vient même à projeter un grand séminaire spécial pour la formation des prêtres-éducateurs. À Joliette, si j’ai été bien informé, il déclare courageusement aux congressistes : « Dans le passé, vous n’avez pas été des coupables ; vous avez été des victimes. Et dans cette responsabilité, vos évêques prennent leur part. » Embarqué, en 1900, dans l’enseignement, avec une impréparation totale, j’ai tellement insisté, devant l’Archevêque, sur cette inconcevable misère où l’on a jeté tant de jeunes victimes. Hélas, cette réforme, bien des fois comme on le verra, j’aurai occasion de l’exposer, de la prôner, pour n’obtenir qu’un succès fort partiel !