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Louis-Joseph Papineau

trop exagérer, qu’il apparut dans notre histoire vers 1815. Le peuple qui ne fabrique qu’à bon escient ses mots et ses proverbes, a marqué chez nous, dans une formule, la forte secousse qu’il reçut de cette apparition. Élevant son idole au plus haut point de la force de l’esprit, il prononce encore de ceux qui n’atteignent pas cet idéal absolu : « Ce n’est pas un Papineau. »

Pour mesurer la souveraineté morale dont il investit son chef, évoquons ici cette sorte d’épopée oratoire qui dura près de vingt-cinq ans. Longtemps, elle est restée, pour nos ancêtres, épris, comme tous les latins, de belles paroles et de tournois héroïques, la période fascinatrice du passé. Qui de nous n’a entendu, l’un ou l’autre de ses grands-pères ressusciter, en la surfaisant, la silhouette du tribun ? Dans la parole de ces vieux résonnait un accent de légende. Ils se souvenaient de l’avoir aperçu, un jour de grande réunion populaire, où, pour entendre l’orateur, l’on était venu de vingt lieues à la ronde. Quand il s’était levé, au-dessus de la foule, l’homme leur avait paru plus grand que nature et sa voix et son discours avaient encore ajouté à la fascination. La voix avait la résonnance et l’ampleur qui conviennent aux tribunes populaires ; mais se jouait de préférence dans les tons du sarcasme et de l’indignation. Le tribun parlait de droits constitutionnels violés, de l’accaparement, par une seule race, de la liberté, des honneurs, du domaine national, propriété de tous. Les auditeurs n’entendaient pas toujours le vrai sens de ces abstractions politiques ; un secret instinct les avertissait toutefois que là-bas, dans la capitale, dans ce parlement où leurs députés se battaient pour leurs droits, se jouait la grande partie de leur race. Trop souvent humiliés eux-mê-