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FILLE UNIQUE

CHAPITRE VI


Vielprat se voyait enfin revivre : toutes les fenêtres ouvertes ; sans cesse du monde dans le parc ; les écuries peuplées de chevaux, partout du mouvement, ce bruit qui suit les longs sommeils, et fait vibrer étrangement les vieilles demeures longtemps inhabitées.

Le plus souvent, c’étaient une jeune femme et une petite bonne à la mine sauvage, portant un bébé de deux à trois mois, qui se promenaient dans les allées les plus ombragées du parc. Autour d’elles trottinait la Princesse, toujours tentée de rejoindre Lilou et Pompon, lesquels marchaient eux-mêmes sur les talons de René, aujourd’hui un grand garçon de dix ans, épris de tout ce qu’admirait Yucca, son oracle : un futur peintre par conséquent ; déjà presque un rapin.

Parfois Hervé et son ami venaient se joindre au petit groupe. Mais, la plupart du temps, une fois rentrés de leurs excursions matinales, ils restaient au château, absorbés dans le travail qu’ils s’étaient imposé d’un commun accord.

En attendant que le baron eût fait aménager un atelier dans les combles, ils se tenaient dans la galerie largement éclairée qui occupait tout le côté nord du château : l’ancienne salle d’armes du général de Kosen. Ils y avaient apporté quelques-uns des tableaux à restaurer, leurs chevalets, tout leur attirail de peinture.

Seul, le fond de la pièce avait échappé à l’encombrement.

Un tapis limitait ce coin respecté. C’est là que s’installait Thérèse avec les enfants. Des sièges de toute taille s’offraient à chacun ; on y voyait jusqu’à un « Moïse » pour les sommeils du bébé.

Une liseuse, une table à ouvrage, un piano complétaient l’ameublement. Pas tout à fait ; Thérèse aimait toujours les fleurs, les fleurs agrestes surtout. De Kosen, qui connaissait les goûts de la jeune femme, ayant été l’hôte de ses amis dans le Jura, avait réuni autour d’elle des jardinières de toute forme : chaque angle était un bosquet. Et il n’était aucun des hôtes du château qui ne tînt à honneur de les entretenir de fleurs fraîches.

La chasse aux plantes était maintenant la principale occupation des trois garçons.

Elle était d’autant plus laborieuse que le Velay, avec son sol volcanique, a une flore assez pauvre : des genêts, des campanules, des bruyères, de petits œillets de montagne, quelques rares orchidées… ; après une matinée passée à explorer le parc et ses entours, c’est à peu près tout ce que René, chargé de transporter la récolte, avait à déposer sur les genoux de « ma sœur Thérèse ».

Ne voyant plus reparaître Lilou et Pompon, Claire s’en crut oubliée… Déjà !… Elle en ressentit un vif dépit. Pour une fois qu’elle s’était mise en frais avec des bébés, elle en était bien récompensée ! Si on l’y reprenait !…

Tout le monde avait à souffrir de sa méchante humeur. Elle écrivait à ses parents des lettres maussades, suintant l’ennui à chaque ligne. Elle leur déclarait vouloir se rendre auprès d’eux, la vie étant par trop monotone à Arlempdes, entre grand’mère et les cousines ; elle se lamentait sur tout, ressentant un infini besoin de se faire plaindre.

À la maison, personne n’osait rien lui dire.

Grand’mère avait vu rejeter avec dédain sa proposition d’aller en excursion au camp d’Antoune, peu éloigné, mais séparé d’Arlempdes par la Loire ; ce qui nécessitait l’emploi de la barque et une amusante escalade jusqu’au plateau.