Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rogatienne n’obtenait pas dix minutes d’attention de son élève, et le piano restait fermé la plupart du temps.

Pour Sidonie, elle ne proposait, n’exigeait, ni même ne demandait rien, ayant tout de suite compris d’où provenait la mauvaise humeur de la jeune fille ; si bien compris qu’elle cherchait un moyen d’intervenir.

Il ne tarda pas de lui être offert. Se trouvant au jardin, un après-midi, elle entendit, de l’autre côté, rire et babiller les enfants. Aussitôt, elle courut à l’échelle, y grimpa et appela de sa voix claironnante :

« Lilou ! Pompon ! »

Subitement les rires cessèrent et le sable cria sous les petits pieds qui accouraient de toute leur vitesse.

« On a donc oublié Claire, et la tarte de mère-vieux, et mon bon chocolat ? » s’informa-t-elle.

Ne reconnaissant pas la voix de leur amie, les bambins, avant de répondre, regardaient à qui ils avaient affaire.

René en profita pour expliquer à leur place :

« Ils parlent tous les jours de Claire et me promettent de me conduire chez elle. Mais nous avons été très occupés à visiter le parc : il est si grand ! Nous irons bientôt la voir ainsi que mère-vieux et vous, madame.

— Ne dites pas à Claire que je vous ai appelés, mes enfants. Elle sera bien plus contente, si elle croit que ses petits amis sont revenus d’eux-mêmes.

— Et elle ne croira que la vérité, madame. Tout le temps, Lilou et Pompon parlent de Claire à ma sœur Thérèse.

— Alors, à demain, mes petits. Venez par la route : c’est plus long, mais c’est plus sûr. Je trouve ce passage dangereux. »

René s’assura de la chose en escaladant lui-même le rocher.

« Oh ! pas du tout, madame, protesta-t-il, après avoir jeté un coup d’œil sur l’ingénieux système de descente imaginé par Claire. Dans le Jura, que nous habitons d’ordinaire en été, il y a des pas autrement difficiles à franchir ; cela n’arrête aucun de nous.

— Mais ces mioches ?…

— Des garçons ! ça doit apprendre à passer n’importe où. »

Pétiôto s’éloigna heureuse de la surprise qu’elle venait de ménager à Claire ; ne soupçonnant point que la jeune fille, alors dans sa chambre, n’avait pas perdu un mot de son colloque avec René.

Son amour-propre étant sauf, Clairette se sentait toute joyeuse.

« Faut-il être désœuvrée, pour attacher tant de prix à la visite de deux bambins de cinq ans ! » murmurait-elle en haussant les épaules.

N’empêche qu’elle riait…

Au château, durant le diner, Pompon rapporta ce qui s’était dit entre René et Sidonie.

Il ajouta :

« C’est demain qu’on alle voir Claire. Tu veux viendre avec nous, papa ?

— Elle veut pas être une maman z’à nous, Claire, soupira Lilou d’un ton mélancolique, en hochant la tête.

— Vous le lui avez donc demandé ! s’écria Hervé ébahi.

— Oui. Elle a dit non, parce qu’elle aime pas les enfants. »

Pompon se hâta de protester :

« Mais elle nous aime, nous, pisqu’elle nous donne qué de çoze.

— Ce n’est pas une raison pour vouloir être votre maman, petits nigauds. On ne demande pas cela à n’importe qui… Le choix d’une maman ne regarde pas les enfants.

— Qui que ça regarde ?

— Moi.

— Alors, tu lui demanderas, dis, papa, qu’elle est une maman z’à nous deux Pompon.

— Que dites-vous du français de mes fils, madame ? » fit Hervé, au lieu de répondre à Lilou.