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DISPARUS

résolu à tout tenter pour se tirer lui-même d’affaire, puisque nul ne pouvait l’y aider.

Il réfléchit.

S’il découvrait des pierres ! Il pourrait les amonceler contre la muraille et grimper dessus. Comme un animal en cage, il fit le tour de son cachot. À la lueur de la chandelle, il n’aperçut que le sable fin, comme de la poussière sur la roche. Au fond de quelques fissures, où il passa la main, la roche, encore nue, solide. Sauf les deux pierres d’appui, pas un caillou ! Il examina les parois ; toujours la roche impitoyable, rigide, et c’était la roche qui avait l’air de le regarder ! Il avait trouvé cette retraite si délicieuse, il y avait eu déjà et il s’y était promis tant de plaisirs ! Et voilà que cela devenait un tombeau !

Il songea à ficher son couteau à la roche, dans une fente du puits, et à s’en servir comme échelon. Mais quand bien même il y eût eu une fente, quand même Yvon eût pu en pratiquer une, il savait bien que ce couteau ne serait pas de force à le soutenir sans se briser. Et il n’aperçut aucune fissure.

Un instant, il pensa à se servir de ses vêtements comme de corde, les attachant par les manches. Mais il n’avait qu’une culotte courte, des bas et sa veste. Il les noua bout à bout avec soin et y ajouta la maigre ficelle gardée dans sa poche. Tout cela donnait peu de longueur et il ne pouvait l’accrocher à rien. Il essaya néanmoins de jeter ses vêtements roulés en corde, espérant qu’ils seraient retenus quelque part. Les vêtements retombèrent.

Yves se revêtit.

La tentative dernière qu’il imagina fut de s’arc-bouter à une roche pendant qu’il poserait ses pieds sur l’autre côté de la paroi du puits. Hélas ! les pieds du pauvre enfant étaient loin d’atteindre l’autre mur…

Il n’y avait rien à faire.

Yves était bien perdu.

Il songea avec effroi, voyant sa lumière plus qu’à demi consumée, que, sous peu, il serait condamné à l’obscurité complète.

Il souffla la lumière, bravement, pour économiser cette ressource, et, bien qu’il se fût dit que c’était inutile, se plaçant au milieu du puits, au-dessous de l’ouverture, il se reprit à crier : « Au secours ! » de toute sa force, plusieurs fois.

Rien ne répondit.

Sa voix « revenait en bas », il le sentait. Sa voix aussi était enfermée.

Il devait faire nuit au dehors, car aucune lueur n’était perceptible au-dessus de sa tête. Yvon ne voyait même pas le ciel. Son ciel à lui était formé d’une véritable forêt de clématites, de vieux lierres et de ronces. Cette couverture, qui rendait cette retraite si inaccessible, qui la faisait si secrète, qui ôtait à Yves toute chance d’être secouru, c’était là le ciel pour lui… en attendant l’autre.

Il se jeta à genoux :

« Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! »

Il cria encore :

« Au secours ! »

Puis, trouvant que ce mot était sourd et ne résonnait pas assez, il se mit à crier :

« Oh ! oh ! oh ! oh ! » désespérément, à intervalles réguliers.

Et toujours le silence pour réponse… Et toujours la même ombre muette. Il essaya d’entendre quelque chose du dehors. Il prêta l’oreille aux bruits de la mer qui lui étaient si familiers, tout au moins au vent qui souffle sur les rochers. Mais, soit que la marée fût éloignée et que le vent fût tombé, soit que les sons de toutes sortes ne pussent pénétrer en cette cave, il n’entendit rien. Le silence était aussi compact que le rocher, l’ombre aussi épaisse.

Yves s’assit. Il s’étendit sur le sable. Il se releva, criant encore, et se recoucha. Puis, il se sentit faim, très faim, comme une blessure dans son estomac. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait mangé, probablement.