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— À quoi bon, puisque je venais. »

Ce dialogue se reproduisait, avec des variantes plus ou moins aigres, à peu près tous les jours.

Répondre ? Claire n’avait garde.

C’eût été trahir son secret. On aurait eu vite fait de découvrir d’où partait la voix.

Car, dans son impatience d’avoir mené à bien son entreprise, elle retournait à son escalier l’après-midi, maintenant.

Elle fit, certain jour, une singulière découverte. En raclant l’angle d’une marche, sa pelle ramena un petit soulier d’enfant, une chaussure fine, à semelle mince, et qui avait dû être doublée de soie blanche ; il en restait des vestiges près des coutures.

Qui avait bien pu perdre ce petit soulier ? Quel âge devait avoir son propriétaire, quand il l’avait semé sur cette route aérienne ?… quatre à cinq ans, pas plus.

Que pouvait bien être venu faire là un bébé de quatre à cinq ans ?… Un bébé riche ! Jamais son père, ses oncles, ni même, à cette dernière génération, ses cousins, n’avaient dû être chaussés ainsi.

Elle emporta sa trouvaille, et, l’ayant nettoyée et séchée, la cacha au fond d’un tiroir.

Le soir du douzième jour, après être commodément descendue, les mains appuyées aux rochers qui formaient deux rampes, elle posa le pied dans le parc de Vielprat.

Un détail la frappa tout de suite, auquel, trois ans auparavant, elle n’avait point prêté attention : le soin pris pour dissimuler l’escalier à la vue.

Les derniers degrés, à peine dégrossis, restaient masqués par une saillie du rocher au liane duquel on les avait creusés.

Aux sapins de la bordure, on avait adjoint d’autres arbustes d’essence rustique. Une allée contournait ce massif, mais, pour la joindre depuis le bas des marches, il fallait se glisser derrière les troncs des sapins, l’espace d’une dizaine de mètres.

Dissimule-t-on avec un tel soin un passage de simple utilité, destiné uniquement à abréger les distances ?… Pas un instant Claire ne l’admit.

Elle ne dépassa guère la ligne des sapins, ce soir-là. Il était tard, la nuit allait venir et, avec elle, l’heure du souper.

Ne la découvrant pas au jardin, Pétiôto serait capable de monter la chercher dans sa chambre. Si elle venait à l’apercevoir, ou seulement à l’entendre, refermer le volet et sortir du placard ?…

Elle remonta en courant les degrés de basalte, se faufila chez elle avec précaution, brossa ses cheveux couverts de brindilles et descendit.

Endormantes, ces courtes veillées d’été, tout comme aussi la conversation qui courait autour de la table — se traînait plutôt — durant les repas.

La qualité des mets, le nombre d’œufs recueillis dans la journée, le temps que laissait prévoir, pour le lendemain, l’apparence du ciel, en faisaient les frais d’ordinaire.

Claire y prenait peu de part. Si elle se mêlait à l’entretien, c’était le plus souvent pour poser à sa grand’mère quelque question au sujet de leurs voisins : ceux d’autrefois, et ceux qui allaient sans doute venir.

Le soir où son travail fut achevé, en y ressongeant pour s’en réjouir à nouveau, il lui vint à l’esprit que peut-être des relations pourraient s’établir entre eux et les de Kosen. Pourquoi pas ? Surtout si, parmi les membres de cette famille, il se rencontrait quelque jeune fille de son âge.

Et alors, cet escalier secret, elles seraient deux, une dans chaque camp, à essayer d’en découvrir l’origine.

Bien amusant, ce problème à élucider dans ces conditions.

Sans compter que l’escalier servirait aux deux amies pour se rejoindre dans le parc ou chez grand’mère Andelot.