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GUILLAUME

et hérissé, au visage hideux, aux yeux « rouges comme feu ». C’était Dangier, un des portiers du jardin, qui d’une voix menaçante ordonne à l’Amant de se retirer. Cet homme si discourtois avait avec lui Male-Bouche, Honte, et une autre femme dont le nom était la Peur. Honte avait eu de son mariage une fille, à qui l’on avait donné le nom dé Chasteté ; Vénus lui faisait une guerre continuelle. L’Amant expulsé par cet impitoyable gardien se désespère, et reçoit assez mal les conseils de Raison ; il écoute plus volontiers un Ami, qui l’engage à tout mettre en œuvre pour fléchir Dangier ; il y réussit, aidé par Franchise et Pitié, et pénètre de nouveau auprès du rosier, toujours guidé par le complaisant Bel-Accueil. Cependant la condescendance de celui-ci ne va pas jusqu’à autoriser notre amoureux à donner, comme il le désire, un baiser à la rose. Vénus intervient en faveur du nouveau vassal de son fils, et lui obtient la permission tant souhaitée. Mais a peine en a-t-il profité, que Male-Bouche va tout conter à Jalousie. Cette méchante dame accable Dangier de reproches, et enferme Bel-Accueil dans une haute tour, dont elle fait garder les portes par Peur, Honte, Male-Bouche et Dangier, qui a promis de ne plus se laisser séduire. L’Amant est an désespoir ; il regrette surtout d’avoir causé le malheur de Bel-Accueil, et déclare que rien au monde ne le consolera s’il perd sa bienveillance. C’est ici que notre poète s’est arrêté, comme nous l’avons dit plus haut ; et comme l’ont fort bien fait remarquer les transcripteurs de divers manuscrits, avertis sans doute par Jean de Meung

Cy endroit trespassa Guillaume
De Loris, et n’en fist plus pseaulme ;
Mais après plus de quarante ans,
Maistre Jehan de Meung ce Roumans
Parlist, ainsi que je treuve ;
Et ici commence son œuvre.

Méon., vol. II, p. 1.

« Guillaume de Lorris », a dit un critique contemporain, « avait intention de composer un Art d’aimer. Pour les détails, souvent il imite, il traduit même Ovide ; pour la forme générale, il s’inspire de la poésie des Provençaux. C’est un trouvère d’un esprit délicat et doux, plus ingénieux que savant, plus naïf que hardi. » À la vraie inspiration poétique, qui lui manque, il supplée par de l’esprit et de la grâce ; il prodigue les descriptions, « cette ressource des décadences, où les poëtes s’amusent à analyser comme pour se dispenser d’analyser ». Mais ce qu’il est surtout important de constater, ce qui caractérise vraiment la période littéraire dont le Roman de la Rose est le premier et le principal monument, c’est la substitution des êtres symboliques, des abstractions personnifiées aux héros historiques et fabuleux, mais toujours vivants, qui animaient les épopées chevaleresques. L’œuvre de Guillaume est aux chansons de geste ce que les froides ballades de Charles d’Orléans seront aux poésies de Thibaut de Champagne, ce que sur le théâtre les moralités seront aux mystères. L’enthousiasme s’éteint ; la foi hésite et chancelle, la poésie devient raisonneuse : Luther n’est pas loin. Il est curieux de rencontrer de pareils symptômes dès le siècle de saint Louis : nous nous bornons à les signaler. Nous ne croyons pas non plus devoir nous occuper ici de tout le bruit qui se fit autour du Roman de la Rose dans le monde philosophique et même religieux du moyen âge. On sait combien est petite la part qui revient à notre auteur dans cet immense succès de scandale ou de gloire. Mais l’allégorie qui fait le fond même du poëme lui appartient sans conteste, et nous ne pouvons nous dispenser de rappeler à quels étranges commentaires elle a donné lieu. Jean Molinet, chanoine de Valenciennes et historiographe de Maximilien, y découvrit des intentions pieuses, auxquelles assurément Guillaume de Lorris n’avait point songé. Clément Marot fit plus ; il consacra une longue préface a exposer la portée morale et religieuse du très-profane poëme. « Je dis premièrement que par la Rose est entendu l’estat de sapience… secondement, on peult entendre par la Rose l’estat de grâce… tiercement nous pouvons entendre par la Rose la glorieuse vierge Marie… quartement nous pouvons par la Rose comprendre le souverain bien infiny et la gloire d’éternelle béatitude, etc.… » Et pour faciliter la lecture de ce livre si édifiant, il se mettait à en rajeunir le langage vieilli, et suivant ses expressions « à le restituer en meilleur estat et plus expédiente forme pour l’intelligence des lecteurs et auditeurs ». Il tenait notre poëte en haute estime, comme le prouvent ces deux vers :

Nostre Ennius Guillaume de Lorris
Qui qui du roman acquist si grand renom

(Compl. au Gen. Preudhomme.)

Il rendit pourtant un médiocre service à l’objet de son admiration en traduisant dans la langue du seizième siècle le poëme de Guillaume et de Jean de Meung. Il supplanta complètement le texte primitif, qui à partir de 1527 ne fut plus imprimé. Ce ne fut qu’en 1734 qu’il en parut une édition assez médiocre, publiée par Lenglet-Dufresnoy ; celle de 1799, en cinq grands volumes in-8o, ne fut guère meilleure ; mais en 1814 parut l’excellent travail de Méon, et le public français put enfin se flatter de connaître un poëme qui avait exercé sur la littérature française une si grande influence et joui pendant plusieurs siècles d’une immense popularité. Alexandre Pey.

Le Roman de la Rose par Guillaume de LorriS et Jehan de Meung, par M. Méon ; Paris. 1814, 4 vol. in-8o. — Lantin de Damerey, Dissertation sur le Roman de la Rose. — S. Demogeot, Histoire de la Littérature française" ; Paris, 1855. — D. Nizard, Illst. de la Litt. fr.

*GUILLAUME, patriarche de Jérusalem et légat du pape en Palestine, mourut à Saint-Jcan-d’Acre, en 1270. Evéque d’Agen vers 1247, il fut souvent choisi comme arbitre dans les querelles qui s’élevaient autour de lui. Jacques Panlaléon,