Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

V

LE SACRIFICE DU DIEU

Cette valeur singulière de la victime apparaît clairement dans l’une des formes les plus achevées de l’évolution historique du système sacrificiel : c’est le sacrifice du dieu. C’est, en effet, dans le sacrifice d’une personne divine que la notion du sacrifice arrive à sa plus haute expression. Aussi est-ce sous cette forme qu’elle a pénétré les plus grandes religions et qu’elle y a donné naissance à des croyances et à des pratiques qui vivent encore.

Nous allons voir comment les sacrifices agraires ont pu fournir un point de départ à cette évolution. Mannhardt et M. Frazer[1] ont déjà bien vu qu’il y avait d’étroits rapports entre le sacrifice du dieu et les sacrifices agraires. Nous ne reviendrons pas sur les points de la question qu’ils ont traités. Mais nous chercherons, à l’aide de quelques faits supplémentaires, à montrer comment cette forme du sacrifice se rattache au fond même du mécanisme sacrificiel. Notre effort principal tendra surtout à déterminer la part considérable que la mythologie a prise à ce développement.

Pour qu’un dieu puisse ainsi descendre au rôle de victime, il faut qu’il y ait quelque affinité entre sa nature et celle des victimes. Pour qu’il vienne se soumettre à la destruction sacrificielle, il faut qu’il ait son origine dans le sacrifice lui-même. Cette condition paraît, à certains égards,

  1. Mannhardt, W. F. K. ; Mythologische Forschungen. — Frazer, Golden B., I, p. 213 sqq., II, p. 1 sqq. — Jevons, Introduction to the History of Religion. — Grant Allen, The Evolution of the Idea of God, chap. x sqq. — Liebrecht, Der aufgefressene Gott, in Zur Volkskunde, p. 436, 439. — Goblet d’Alviella, Les rites de la moisson, in Rev. Hist. des Relig., 1898, II, p. 1 sqq.Rob. Smith, Sacrifice in Encyclopædia Britannica ; Religion of Semites, p. 414 sqq. — Vogt, Cong. Inter. d’Archéol. préhist., Bologne, 1874, p. 428. Nous ne soutenons pas que tout sacrifice du dieu soit d’origine agraire.