Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/447

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lysr la philosophie en vers lumineux que n’embarrassent jamais ni la rime ni le rythme.

Il dit tout ce qu’il veut, comme il le veut.

Tour à tour cette même main soulève, herculéenne, le marteau qui forge le raisonnement ; lance, gracieuse, la flèche de la rime, ou distribue, légère, la douce caresse aux faibles, aux enfants, aux déshérités.

Il y a de tout cela dans l'Âne.

Toutes les cordes y vibrent successivement. Dans certaines pages de prophétiques splendeurs.

Ailleurs des sarcasmes, cuisants comme la blessure du fer rouge. Plus loin des tendresses ineffables.

... Jamais plus virile ne fut sa pensée, jamais plus radieuse sa poésie.

Le Soleil.

Jean DE NIVELLE.

(28 octobre 1880.)

. . . Jamais plus virulente satire ne fut écrite à l’adresse du pédantisme, de ce pédantisme éternel qui se décerne à lui-même des brevets d’infaillibilité et qui n’a pas éclairé, ne fut-ce que d’une lueur, la route obscure sur laquelle l’humanité chemine depuis des siècles. Ce poème est une lamentation, et, de plus, c’est la raison même, exposée par l’animal le plus bafoué de la création qui, dans l’arche de Noé, recevait déjà sans doute les rebuffades et essuyait les avanies qui depuis lors ne lui ont pas fait défaut.

... Pour un âne qui reprend la parole, depuis La Fontaine, le coup est porté, et de façon rude, et tant pis pour ceux qui se sentiront blessés ! Le pédantisme auquel le poète avait déjà fait la guerre, dans une partie des Contemplations, n’est pas ménagé, et cette œuvre nouvelle plus originale que celles qui l’ont précédée, et s’il est possible d’une forme encore plus ample, n’est que la protestation de l’intelligence humaine surchargée de preuves qu’une heure suffit à démolir, saturée de théories éphémères, et qui au lieu de l’étroite et aride prison dans laquelle on la confine, réclame un peu plus d’espace, un peu plus de lumière et un peu plus de poésie. Celle-ci jaillit à flots de cette plume que soixante années de lettres n’ont pas ébréchée, ni même affaiblie. En lisant cette œuvre nouvelle de celui qu’Emile Augier, un maître incontesté. appela récemment dans une inspiration heureuse le Pire, l’artiste dira : comme c’est beau ! et le penseur ajoutera : comme c’est vrai !

Le Voltaire.

L’HOMME MASQUÉ.

(Émile BERGERAT.)

(29 octobre 1880.)

Me lapiderez-vous si je vous dis ce que je pense du dernier livre de Victor Hugo, F Ane ? Me laisserez-vous vivre si je dérange la symétrie de vos cravates blanches.’ Quelle tâche j’assume ! Donner un coup de pied dans cette malle derrière laquelle moisissent tant d’heureux croûtons de pain ! Oser prétendre que l'Âne est un livre d’une portée énorme, quoique en vers, et que le vieillard qui l’a écrit n’est pas, malgré son génie surnaturel, un simple joueur de guimbarde. Contrecarrer sur ce point le jugement de tant de politiciens et socialistes d’une force herculéenne et me camper sur le passage de cette locomotive qu’on appelle le bon sens bourgeois ! Hélas ! où cours-je ? Miséricorde !

... Depuis quelques années Victor Hugo semble poussé par une main invisible ; il multiplie ses appels, il précipite ses évocations. On dirait qu’il a peur de faillir à je ne sais quelle mission de Jérémie. Son verbe a des solennités d’oracle ; ses mots jettent des lueurs extraordinaires ; ses idées reflètent des coins d’idéal inexploré, des miroitements de paradis social, des apparitions furtives d’édens philosophiques, auxquels on peut reconnaître les prodromes du monde nouveau. Dans ce génie en gésine éternelle et qui absorbe, résorbe et exprime depuis près de quatre-vingts ans toute fa force intellectuelle d’un peuple, frissonne la joie tremblante de l’avenir. Tandis que d’autres émettent des pensées d’un jour, il formule, lui, des pensées séculaires ; il vit en état perpétuel d’annonciation. Et ce qu’il a de plus prodigieux c’est que ce futur se manifeste à lui comme un présent anticipé, qu’il se meut dans les espérances comme dans les choses établies, les progrès accomplis, les réalisations triomphantes ; il décrit aux pères le bonheur de leurs fils, et il nous parle avec la tranquillité souriante du destin de ce qui n’est pour nous encore que le rêve. Oh ! ne résistez pas, c’est le poète. C’est le poète dans l’accomplissement de sa mission splendide. Il