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II

REVUE DE LA CRITIQUE.


C’est bien sur Hernani que la critique s’est exercée avec le plus d’entrain. Nous ne reviendrons pas ici sur les colères de la vieille école dont nous avons été le fidèle historiographe. Il est trop clair que ces colères troublaient la clairvoyance du jugement ; et si, à titre de curiosité historique, nous reproduisons les attaques de critiques anonymes, nous faisons une large place à la discussion sérieuse.

Cette revue est d’ailleurs fort instructive, car elle embrasse une période de quarante-sept années. Nous pourrions nous livrer au jeu facile qui consiste à mettre les auteurs des articles en contradiction les uns avec les autres, et quelquefois avec eux-mêmes.

Il nous paraît préférable de tirer un enseignement de cette succession d’articles disparates. Toute œuvre de grande valeur a eu le privilège d’être violemment combattue et ardemment défendue jusqu’à ce qu’elle ait été mieux comprise avec le temps. Ce fut le sort d’Hernani. Ce n’est pas la condamnation prononcée par quelques énergumènes, même de bonne foi, qui peut entraîner la mort d’une œuvre. Il faut l’apaisement des passions, le recul des années pour qu’elle soit sainement appréciée et jugée. Ce sont les plus belles tragédies , les drames les plus émouvants qui ont été, à leur apparition, le plus injustement battus en brèche ; et les succès des pièces médiocres, souvent, n’ont pas eu de lendemains.

On pourra suivre, en lisant la critique, l’ascension graduelle d'Hernani, jusqu’au jour où le drame prenant définitivement place dans le répertoire sera considéré par les journalistes les

moins suspects comme le cousin germain du Cid ; or quelle pièce fut plus contestée, fut plus vilipendée par les beaux esprits de l’époque, jusqu’au jour où elle fut admirée sans réserve ! C’est ce qui est arrivé à Hernani qui a même eu la bonne fortune de conquérir, par ses beautés, ceux qui, comme Francisque Sarcey, avaient été tout d’abord des censeurs injustes et rigoureux : Hernani est maintenant une pièce classique ; et si quelque jeune journaliste attardé veut exercer son pédantisme en la discutant, les applaudissements unanimes du public lui donnent la même consécration qu’aux œuvres du XVIIe et du xviiie siècle.

1830.
Le Globe.
C. M. [Charles Magnin.]
26 février 1830.

Nous sortons d’Hernani et le public enthousiasmé applaudit encore… Cette grande et poétique composition a tenu au delà des espérances et des craintes de l’amitié et de l’envie. Ébloui de tant de beautés, enivré d’une poésie si vive et si nouvelle, nous ne hasarderons pas ce soir un jugement : nous ne voulons aujourd’hui qu’annoncer le triomphe de M. Victor Hugo ; Hernani a obtenu un succès complet, un succès mérité. Grandeur et profondeur de pensée, poésie lyrique admirablement mêlée au drame, intérêt un peu romanesque, mais vif et pressant, vers souvent de facture cornélienne, le public a tout senti, tout écouté, tout applaudi : çà et là, il a indiqué au poète, avec une justesse extrême, quelques coupures nécessaires. Mais l’œuvre est si pleine, si riche, que M. Victor Hugo