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  L’affaire Champmathieu. 411

Il réussit à disparaître, vendit l’argenterie de l’évêque, ne gardant que les flambeaux, comme souvenir, se glissa de ville en ville, traversa la France, vint à Montreuil-sur-mer, eut l’idée que nous avons dite, accomplit ce que nous avons raconté, parvint à se faire insaisissable et inaccessible, et désormais, établi à Montreuil-sur-mer, heureux de sentir sa conscience attristée par son passé et la première moitié de son existence démentie par la dernière, il vécut paisible, rassuré et espérant, n’ayant plus que deux pensées : cacher son nom et sanctifier sa vie ; échapper aux hommes, et revenir à Dieu.

Ces deux pensées étaient si étroitement mêlées dans son esprit qu’elles n’en formaient qu’une seule ; elles étaient toutes deux également absorbantes et impérieuses, et dominaient ses moindres actions. D’ordinaire elles étaient d’accord pour régler la conduite de sa vie ; elles le tournaient vers l’ombre ; elles le faisaient bienveillant et simple ; elles lui conseillaient les mêmes choses. Quelquefois cependant il y avait conflit entre elles. Dans ce cas-là, on s’en souvient, l’homme que tout le pays de Montreuil-sur-mer appelait M. Madeleine ne balançait pas à sacrifier la première à la seconde, sa sécurité à sa vertu. Ainsi, en dépit de toute réserve et de toute prudence, il avait gardé les chandeliers de l’évêque, porté son deuil, appelé et interrogé tous les petits savoyards qui passaient, pris des renseignements sur les familles de Faverolles, et sauvé la vie au vieux Fauchelevent, malgré les inquiétantes insinuations de Javert. Il semblait, nous l’avons déjà remarqué, qu’il pensât, à l’exemple de tous ceux qui ont été sages, saints et justes, que son premier devoir n’était pas envers lui.