Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/125

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venait fort rarement à Paris, si rarement que Marius ne l’avait jamais vu. Les deux cousins ne se connaissaient que de nom. Théodule était, nous croyons l’avoir dit, le favori de la tante Gillenormand, qui le préférait parce qu’elle ne le voyait pas. Ne pas voir les gens, cela permet de leur supposer toutes les perfections.

Un matin, Mlle Gillenormand aînée était rentrée chez elle aussi émue que sa placidité pouvait l’être. Marius venait encore de demander à son grand-père la permission de faire un petit voyage, ajoutant qu’il comptait partir le soir même. — Va ! avait répondu le grand-père, et M. Gillenormand avait ajouté à part en poussant ses deux sourcils vers le haut de son front : Il découche avec récidive. Mlle Gillenormand était remontée dans sa chambre très intriguée, et avait jeté dans l’escalier ce point d’exclamation : C’est fort ! et ce point d’interrogation : Mais où donc est-ce qu’il va ? Elle entrevoyait quelque aventure de cœur plus ou moins illicite, une femme dans la pénombre, un rendez-vous, un mystère, et elle n’eût pas été fâchée d’y fourrer ses lunettes. La dégustation d’un mystère, cela ressemble à la primeur d’un esclandre, les saintes âmes ne détestent point cela. Il y a dans les compartiments secrets de la bigoterie quelque curiosité pour le scandale.

Elle était donc en proie au vague appétit de savoir une histoire.

Pour se distraire de cette curiosité qui l’agitait un peu au delà de ses habitudes, elle s’était réfugiée dans ses talents, et elle s’était mise à festonner avec du coton sur du coton une de ces broderies de l’empire et de la restauration