Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/170

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Une affiche de théâtre se présentait, ornée d’un titre de tragédie du vieux répertoire, dit classique. — À bas la tragédie chère aux bourgeois ! criait Bahorel. Et Marius entendait Combeferre répliquer :

— Tu as tort, Bahorel. La bourgeoisie aime la tragédie, et il faut laisser sur ce point la bourgeoisie tranquille. La tragédie à perruque a sa raison d’être, et je ne suis pas de ceux qui, de par Eschyle, lui contestent le droit d’exister. Il y a des ébauches dans la nature ; il y a, dans la création, des parodies toutes faites ; un bec qui n’est pas un bec, des ailes qui ne sont pas des ailes, des nageoires qui ne sont pas des nageoires, des pattes qui ne sont pas des pattes, un cri douloureux qui donne envie de rire, voilà le canard. Or, puisque la volaille existe à côté de l’oiseau, je ne vois pas pourquoi la tragédie classique n’existerait point en face de la tragédie antique.

Ou bien le hasard faisait que Marius passait rue Jean-Jacques-Rousseau entre Enjolras et Courfeyrac.

Courfeyrac lui prenait le bras.

— Faites attention. Ceci est la rue Plâtrière, nommée aujourd’hui rue Jean-Jacques-Rousseau, à cause d’un ménage singulier qui l’habitait il y a une soixantaine d’années. C’étaient Jean-Jacques et Thérèse. De temps en temps, il naissait là de petits êtres. Thérèse les enfantait, Jean-Jacques les enfantrouvait.

Et Enjolras rudoyait Courfeyrac.

— Silence devant Jean-Jacques ! Cet homme, je l’admire. Il a renié ses enfants, soit ; mais il a adopté le peuple.

Aucun de ces jeunes gens n’articulait ce mot : l’empe-