Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Actes et Paroles, tome I.djvu/429

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Hall. L’exécution a eu lieu non sur une apparence de place publique, comme à Paris, mais dans l’intérieur de la prison. « Dans la geôle. » Y avait-il des spectateurs ? Oui, sans doute. Que deviendrait l’exemple s’il n’y avait pas de spectateurs ? Quels spectateurs donc ? D’abord la famille. La famille de qui ? Du condamné. Non, de la victime. C’est pour la famille de la victime que l’exemple s’est fait. L’exemple a dit au père, à la mère, au mari (c’était une femme qui avait été assassinée), aux frères de la victime : cela vous apprendra ! Ah ! j’oublie, il y avait encore d’autres spectateurs, une vingtaine de gentlemen qui avaient obtenu des entrées de faveur moyennant une guinée par personne. La peine de mort en est là. Elle donne des spectacles à huis clos à des privilégiés, des spectacles où elle se fait payer, et elle appelle cela des exemples !

De deux choses l’une : ou l’exemple donné par la peine de mort est moral, ou il est immoral. S’il est moral, pourquoi le cachez-vous ? S’il est immoral, pourquoi le faites-vous ?

Pour que l’exemple soit l’exemple, il faut qu’il soit grand ; s’il est petit, il ne fait pas frémir, il fait vomir. D’efficace il devient inutile, d’effrayant, misérable. Il ressemble à une lâcheté. Il en est une. La peine de mort furtive et secrète n’est plus que le guet-apens de la société sur l’individu.

Soyez donc conséquents. Pour que l’exemple soit l’exemple, il ne suffit pas qu’il se fasse, il faut qu’il soit efficace. Pour qu’il soit efficace, il faut qu’il soit terrible ; revenez à la place de Grève ! il ne suffit pas qu’il soit terrible, il faut qu’il soit permanent ; revenez à Montfaucon ! je vous en défie.

Je vous en défie ! Pourquoi ? Parce que vous en frissonnez vous-mêmes, parce que vous sentez bien que chaque pas en arrière dans cette voie affreuse est un pas vers la barbarie ; parce que, ce qu’il faut aux grandes générations du dix-neuvième siècle, ce n’est point des pas en arrière, c’est des pas en avant ! parce qu’aucun de nous, aucun de vous ne veut retourner vers les ruines hideuses et difformes du passé, et que nous voulons tous marcher, du même pas et du même cœur, vers le rayonnant édifice de l’avenir !

Rejetons donc la théorie de l’exemple. Vous y renoncez vous-mêmes, vous voyez bien.

Reste l’efficacité directe de la peine de mort ; le service rendu à la société par le retranchement du coupable ; la mesure de sûreté. La peine de mort est la plus sûre des prisons. Ah ! ici, vous frissonnez encore, malgré vous-même. Quoi, le tombeau utilisé comme maison de justice ! la mort devient un employé de l’état ! la mort devient un fonctionnaire auquel on donne à garder les hommes dangereux ! Voici un homme qui a fait le mal et qui peut le faire encore, vous pourriez essayer de guérir cette âme et d’en déraciner le crime ; mais non, vous n’allez pas si loin, bah ! améliorer un homme, le corriger, l’assainir, le sauver physiquement et moralement, théories ! visions ! rêveries de poëtes ! Vous dites : il faut enfermer cet homme, la meilleure manière de l’enfermer c’est de le tuer, et vous le tuez !

Monstrueux.

À législation barbare, raisonnement sauvage. Criminalistes, débattez-vous sous vos propres énormités.