Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/88

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rapide. Le lendemain de la mort, le matin, les ouvriers mouleurs qui vinrent trouvèrent le visage déformé et le nez tombé sur la joue. On le mit dans un cercueil de chêne doublé de plomb.

Le service se fit à Saint-Philippe-du-Roule. Je songeais, à côté de ce cercueil, que c’était là que ma seconde fille avait été baptisée, et je n’avais pas revu cette église depuis ce jour-là. Dans nos souvenirs la mort touche la naissance.

Le ministre de l’intérieur, Baroche, vint à l’enterrement. Il était assis à l’église près de moi devant le catafalque et de temps en temps il m’adressait la parole.

Il me dit : C’était un homme distingué.

Je lui dis : C’était un génie.

Le convoi traversa Paris et alla par les boulevards au Père-Lachaise. Il tombait des gouttes de pluie quand nous partîmes de l’église et quand nous arrivâmes au cimetière. C’était un de ces jours où il semble que le ciel verse quelques larmes.

Je marchais à droite en tête du cercueil, tenant un des glands d’argent du poêle ; Alexandre Dumas de l’autre côté.

Quand nous parvînmes à la fosse, qui était tout en haut, sur la colline, il y avait une foule immense, la route était âpre et étroite, les chevaux avaient peine en montant à retenir le corbillard qui recula. Je me trouvai pris entre une roue et une tombe. Je faillis être écrasé. Des spectateurs qui étaient debout sur le tombeau me hissèrent par les épaules près d’eux.

Nous fîmes tout le trajet à pied.

On descendit le cercueil dans la fosse, qui était voisine de Charles Nodier et de Casimir Delavigne. Le prêtre dit la dernière prière et je prononçai quelques paroles.

Pendant que je parlais, le soleil baissait. Tout Paris m’apparaissait au loin dans la brume splendide du couchant. Il se faisait, presque à mes pieds, des éboulements dans la fosse, et j’étais interrompu par le bruit sourd de cette terre qui tombait sur le cercueil.