Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/109

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l’Allier et dans les Basses-Alpes ; ajoutez la confiscation des biens d’Orléans avec le morceau donné au clergé, Schinderhannes faisait toujours la part du curé. Ajoutez les commissions mixtes et la commission dite de clémence[1] ; les conseils de guerre combinés avec les juges d’instruction et multipliant les abominations ; les exils par fournées, l’expulsion d’une partie de la France hors de France ; rien que pour un seul département, l’Hérault, trois mille deux cents bannis ou déportés ; ajoutez cette épouvantable proscription, comparable aux plus tragiques désolations de l’histoire, qui, pour tendance, pour opinion, pour dissidence honnête avec ce gouvernement, pour une parole d’homme libre dite même avant le 2 décembre, prend, saisit, appréhende, arrache le laboureur à son champ, l’ouvrier à son métier, le propriétaire à sa maison, le médecin à ses malades, le notaire à son étude, le conseiller général à ses administrés, le juge à son tribunal, le mari à sa femme, le frère à son frère, le père à ses enfants, l’enfant à ses parents, et marque d’une croix sinistre toutes les têtes depuis les plus hautes jusqu’aux plus obscures. Personne n’échappe. Un homme en haillons, la barbe longue, entre un matin dans ma chambre à Bruxelles : « J’arrive, dit-il ; j’ai fait la route à pied ; voilà deux jours que je n’ai mangé. » On lui donne du pain. Il mange. Je lui dis : — D’où venez-vous ? — De Limoges. — Pourquoi êtes-vous ici ? — Je ne sais pas ; on m’a chassé de chez nous. — Qu’est-ce que vous êtes ? — Je suis sabotier.

Ajoutez l’Afrique, ajoutez la Guyane, ajoutez les atrocités de Bertrand, les atrocités de Canrobert, les atrocités d’Espinasse, les atrocités de Martimprey ; les cargaisons de femmes expédiées par le général Guyon ; le représentant Miot traîné de casemate en casemate ; les baraques où l’on est cent cinquante, sous le soleil des tropiques, avec la promiscuité, avec l’ordure, avec la vermine, et où tous ces innocents, tous ces patriotes, tous ces honnêtes gens expirent, loin des leurs, dans la fièvre, dans la misère, dans l’horreur, dans le désespoir, se tordant les mains. Ajoutez tous ces

    en fuite seront séquestrés et administrés par le directeur des domaines du département des Basses-Alpes, conformément aux lois civiles et militaires, etc.

    « Fririon. »

    On pourrait citer dix arrêtés semblables des commandants d’état de siège. Le premier de ces malfaiteurs qui a commis ce crime de confiscation des biens et qui a donné l’exemple de ce genre d’arrêtés s’appelle Eynard. Il est général. Dès le 18 décembre il mettait sous le séquestre les biens d’un certain nombre de citoyens de Moulins, « parce que, dit-il avec cynisme, l’instruction commencée ne laisse aucun doute sur la part qu’ils ont prise à l’insurrection et aux pillages du département de l’Allier ».

  1. Le chiffre des condamnations intégralement maintenues (il s’agit en majeure partie de transportations) se trouvait, à la date des rapports, arrêté de la manière suivante :
    Par M. Canrobert............…......................…...….......….......… 3876
    Par M. Espinasse............…..........................….......….......… 3625
    Par M. Quentin-Bauchart............…..........................….........… 1634
    Total….............................………...…................…............... 9135