Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/72

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Cette espèce de porte bâtarde, gardée par deux guérites peintes en coutil, à l’extrémité du faubourg Saint Honoré, voilà ce que contemple aujourd’hui, avec une sorte d’anxiété profonde, le regard du monde civilisé !… Ah ! qu’est-ce que c’est que cet endroit d’où il n’est pas sorti une idée qui ne fût un piège, pas une action qui ne fût un crime ? Qu’est-ce que c’est que cet endroit où habitent tous les cynismes avec toutes les hypocrisies ? Qu’est-ce que c’est que cet endroit où les évêques coudoient Jeanne Poisson dans l’escalier, et, comme il y a cent ans, la saluent jusqu’à terre ; où Samuel Bernard rit dans un coin avec Laubardemont ; où Escobar entre donnant le bras à Gusman d’Alfarache ; où, rumeur affreuse, dans un fourré du jardin l’on dépêche, dit-on, à coups de bayonnette, des hommes qu’on ne veut pas juger ; où l’on entend un homme dire à une femme qui intercède et qui pleure : « Je vous passe vos amours, passez-moi mes haines ! » Qu’est-ce que c’est que cet endroit où l’orgie de 1852 importune et déshonore le deuil de 1815 ? où Césarion, les bras croisés ou les mains derrière le dos, se promène sous ces mêmes arbres, dans ces mêmes allées que hante encore le fantôme indigné de César !

Cet endroit, c’est la tache de Paris ; cet endroit, c’est la souillure du siècle ; cette porte, d’où sortent toutes sortes de bruits joyeux, fanfares, musiques, rires, chocs des verres, cette porte saluée le jour par les bataillons qui passent, illuminée la nuit, toute grande ouverte avec une confiance insolente, c’est une sorte d’injure publique toujours présente. Le centre de la honte du monde est là.

Ah ! à quoi songe la France ? Certes, il faut réveiller cette nation ; il faut lui prendre le bras, il faut la secouer, il faut lui parler ; il faut parcourir les champs, aller dans les villages, entrer dans les casernes, parler au soldat qui ne sait plus ce qu’il a fait, parler au laboureur qui a une gravure de l’empereur dans sa chaumière et qui vote tout ce qu’on veut à cause de cela ; il faut leur ôter le radieux fantôme qu’ils ont devant les yeux ; toute cette situation n’est autre chose qu’un immense et fatal quiproquo ; il faut éclaircir ce quiproquo, aller au fond, désabuser le peuple, le peuple des campagnes surtout, le remuer, l’agiter, l’émouvoir, lui montrer les maisons vides, lui montrer les fosses ouvertes, lui faire toucher du doigt l’horreur de ce régime-ci. Ce peuple est bon et honnête. Il comprendra. Oui, paysan, ils sont deux, le grand et le petit, l’illustre et l’infâme, Napoléon et Naboléon !

Résumons ce gouvernement.

Qui est à l’Élysée et aux Tuileries ? le crime. Qui siège au Luxembourg ? la bassesse. Qui siège au palais Bourbon ? l’imbécillité. Qui siège au palais