Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/136

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— Disparu.

Nous eûmes cependant encore une réunion. Ce fut le 6, chez le représentant Raymond, place de la Madeleine. Nous nous y rencontrâmes presque tous. Je pus y serrer la main d’Edgar Quinet, de Chauffour, de Clément Dulac, de Bancel, de Versigny, d’Emile Péan, et je retrouvai avec plaisir notre énergique et intègre hôte de la rue Blanche, Coppens, et notre courageux collègue Pons-Tande, que nous avions perdu de vue dans la fumée de la bataille. Des fenêtres de la chambre où nous délibérions, on apercevait la place de la Madeleine et les boulevards militairement envahis et couverts d’une troupe farouche et profonde, rangée en bataille, et qui semblait encore faire front à un combat possible. Charamaule arriva.

Il tira de son large caban deux pistolets, les posa sur la table, et dit : – Tout est fini. Il n’y a plus de faisable et de sage qu’un coup de tête. Je l’offre. Etes-vous avec moi, Victor Hugo ?

— Oui, répondis-je.

Je ne savais ce qu’il allait dire, mais je savais qu’il ne dirait rien que de grand.

En effet :

— Nous sommes ici, reprit-il, environ cinquante représentants du peuple, encore debout et assemblés. Nous sommes tout ce qui reste de l’Assemblée nationale, du suffrage universel, de la loi, du droit. Demain où serons-nous ? Nous ne savons. Dispersés ou morts. L’heure d’aujourd’hui est à nous ; cette heure passée, nous n’avons plus rien que l’ombre. L’occasion est unique. Profitons-en.

Il s’arrêta, nous regarda fixement de son ferme regard, et reprit :

— Profitons de ce hasard d’être vivants, et d’être ensemble. Le groupe qui est ici, c’est toute la République. Eh bien, toute la République, offrons-la en nos personnes à l’armée, et faisons devant la République reculer l’armée et devant le droit reculer la force. Il faut que dans cette minute suprême un des deux tremble, la force ou le droit ; si le droit ne tremble pas, la force tremblera. Si nous ne tremblons pas, les soldats trembleront. Marchons au crime. Si la loi avance, le crime reculera. Dans tous les cas, nous aurons fait notre devoir. Vivants, nous serons des sauveurs ; morts, nous serons des héros. Voici ce que je propose :

Il se fit un profond silence.

— Mettons nos écharpes et descendons tous processionnellement, deux par deux, dans la place de la Madeleine. Vous voyez bien ce colonel qui est là devant le grand perron, avec son régiment en bataille. Nous irons à lui, et là, devant ses soldats, je le sommerai de se ranger au devoir, et de rendre à la République son régiment. S’il refuse…