Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/141

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me dit :

— Vous êtes un des Seize ?

— Oui, répondis-je en souriant, burgrave rouge.

— Comme moi prince rouge.

Et son sourire répondit au mien.

Il reprit :

— Vous avez pleins pouvoirs ?

— Oui. Comme les autres.

Et j’ajoutai :

— Pas plus que les autres. Le côté gauche n’a pas de chefs.

Il poursuivit :

— Yon, le commissaire de police de l’Assemblée, est républicain ?

— Oui.

— Il obéirait à un ordre signé de vous ?

— Peut-être.

— Moi je dis : Sans doute.

Il me regarda fixement.

— Eh bien, faites, cette nuit, arrêter le président.

Ce fut à mon tour de le regarder.

— Que voulez-vous dire ?

— Ce que je dis.

Je dois le déclarer, sa parole était nette, ferme et convaincue, et elle m’a laissé, pendant toute cette conversation, et maintenant, et toujours, l’impression d’un accent loyal.

— Arrêter le président ! m’écriai-je.

Alors il m’exposa que cette chose extraordinaire était simple, que l’armée était indécise, que dans l’armée les généraux d’Afrique balançaient le président, que la garde nationale était pour l’Assemblée, et dans l’Assemblée pour la gauche, que le colonel Forestier répondait de la 8e légion, le colonel Gressier de la 6e et le colonel Hovyn, de la 5e ; que, sur un ordre des Seize de la gauche, il y aurait une prise d’armes immédiate, que ma signature suffirait, que si je préférais pourtant réunir le comité dans le plus grand secret, on pourrait attendre au lendemain, que, sur l’ordre du comité des Seize, un bataillon marcherait sur l’Elysée, que l’Elysée ne s’attendait à rien, songeait à l’offensive et non à la défensive, et serait pris à l’improviste, que la troupe ne résisterait pas à la garde nationale, que la chose se ferait sans coup férir, que Vincennes s’ouvrirait et se fermerait pendant le sommeil de Paris, que le président achèverait là sa nuit, et que la France à son réveil apprendrait cette double bonne nouvelle : Bonaparte hors de combat et la République hors de danger.