Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/29

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amant ne valait pas le mari ; cela arrive. Elle était la fille du plus fantasque des maréchaux de France, et de cette jolie comtesse de *** à laquelle M. de Chateaubriand, après une nuit d’amour, fit ce quatrain qu’on peut publier aujourd’hui, tous étant morts :

 
Des rayons du matin l’horizon se colore,
Le jour vient éclairer notre tendre entretien,
Mais est-il un sourire aux lèvres de l’aurore
              Aussi doux que le tien ?


Le sourire de la fille était aussi doux que celui de la mère, et plus fatal. – L’autre était madame K., russe, blanche, grande, blonde, gaie, mêlée à la diplomatie obscure, ayant et montrant un coffret plein de lettres d’amour du comte Molé, un peu espionne, absolument charmante et terrible.

Les précautions prises, en cas, étaient visibles même du dehors. Depuis la veille, on apercevait, des fenêtres des maisons voisines, dans la cour de l’Elysée, deux chaises de poste attelées, prêtes à partir, postillons en selle.

Il y avait, aux écuries de l’Elysée, rue Montaigne, d’autres voitures attelées et des chevaux sellés et bridés.

Louis Bonaparte n’avait pas dormi. Dans la nuit, il avait donné des ordres mystérieux ; de là, le matin, sur cette face pâle, une sorte de sérénité épouvantable.

Le crime tranquillisé, chose inquiétante.

Dans la matinée même, il avait presque ri. – Morny était venu dans son cabinet. Louis Bonaparte, ayant eu de la fièvre, avait fait appeler Conneau, qui assista à la conversation. On croit les gens sûrs ; ils écoutent pourtant.

Morny apportait des rapports de police. Douze ouvriers de l’Imprimerie nationale avaient, dans la nuit du 2, refusé d’imprimer les décrets et les proclamations. On les avait immédiatement arrêtés. Le colonel Forestier était arrêté. On l’avait transféré au fort de Bicêtre, avec Croce-Spinelli, Genillier, Hippolyte Magen, écrivain de talent et de courage, Goudounèche, chef d’institution, et Polino. Ce dernier nom avait frappé Louis Bonaparte : – Qu’est-ce que ce Polino ? Morny avait répondu : – Un ancien officier au service du shah de Perse. Et il avait ajouté : – Mélange de Don Quichotte et de Sancho Pança. On avait mis ces prisonniers dans la casemate n° 6. Nouvelle question de Louis Bonaparte : – Qu’est-ce que c’est que ces casemates ? Et Morny avait répondu : – Des caves, sans air ni jour, vingt-quatre mètres de long, huit de large, cinq de haut, murs ruisselants, pavés humides. Louis Bonaparte avait demandé : – On leur donne des