Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/499

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de la guerre civile, l’attendrit d’un élan de bonté sublime. Il vient d’échapper miraculeusement de la forteresse, fermée comme un antre, où il soutenait, avec sa bande, l’assaut d’une armée.

Un souterrain s’ouvre devant lui qui aboutit à la fuite, à la liberté, à la guerre reprise, peut-être au triomphe de la cause royale incarnée en lui. À ce moment, il entend les cris désespérés d’une mère qui voit ses enfants enveloppés par un incendie. Lui seul peut les sauver, ayant, dans sa main, la clef de l’enfer qui flambe sur leurs têtes. Mais en les sauvant il se livre ; l’échafaud l’attend, au sortir des flammes, s’il parvient à leur échapper. Lantenac n’hésite pas ; il sacrifie à trois enfants inconnus, non pas seulement sa vie, mais la royauté dont il tient le dernier drapeau. La pitié renverse ce colosse d’orgueil et de haine, sur le chemin d’un berceau. On ne saurait plus noblement mettre en scène un ennemi vaincu.

L’action grandiose de l’oncle a pour pendant l’action sublime du neveu faisant évader Lantenac, le remplaçant dans la prison et sur l’échafaud. C’est le côté idéal de la Révolution, que Victor Hugo a personnifié dans Gauvain, noble et candide figure illuminée par la pure aurore des idées nouvelles, tandis que celle de son aïeul est assombrie par le crépuscule sanglant du passé.

Victor Hugo, en créant Gauvain, songeait évidemment à Marceau. Même jeunesse et même héroïsme, même génie précoce tranché dans sa fleur, même terrain d’exploit de guerre.

… Le Gauvain de Victor Hugo est un Marceau légendaire, transfiguré par une mort qui a la beauté et la sainteté d’un martyre. Martyre accepté, prémédité, réfléchi, dont l’acceptation sort, comme un fruit divin, d’une âme héroïquement déchirée.

On se rappelle l’étonnant chapitre des Misérables : Tempête sous un crâne ; celui de Gauvain pensif en est le pendant. Avec le merveilleux don de renouvellement qu’il possède, le poète nous fait assister, une seconde fois, à cette lutte sublime qui rappelle le mystérieux combat de Jacob, lutte de l’homme contre l’ange qu’il porte en lui et qui s’y déploie. Et cet ange est celui de la mort, il somme Gauvain de se perdre, il lui commande de se sacrifier. Cas obscur, injonction douteuse ; les deux termes du problème vacillent également. D’un côté, le dévouement du vieillard, qu’il serait inique de payer par le couperet du supplice ; de l’autre, sa délivrance, qui déchaînera la guerre civile arrêtée et décapitée avec lui. Les deux voix parlent tour à tour, elles se réfutent, elles se contredisent. On voit cette âme en détresse, ballottée par le flux et le reflux des idées contraires. Il y a des moments où elle incline vers l’égoïsme et vers le sophisme ; on croit qu’elle va s’y laisser tomber ; puis elle remonte, d’un élan, vers la sublimité et vers la lumière.

Le génie du poète fait une grandiose tragédie de la double exécution du condamné et du juge. Cette guillotine dressée contre le donjon féodal, comme une monstrueuse catapulte qui va lui jeter la tête de son dernier suzerain ; ce jeune héros marchant au supplice devant son armée qui s’indigne ; l’apothéose céleste dont l’aurore éclaire son martyre ; ce juge effrayant comme les consuls parricides de la Rome antique, qui a, lui aussi, un glaive dans le regard et qui le fait peser sur ses légions frémissantes, ce coup de pistolet répondant au coup de hache, et « ces deux âmes, sœurs tragiques, s’envolant ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre », tout cela compose un tableau d’une incomparable grandeur.

Une mère cherchant ses enfants perdus est l’humble nœud de cette action formidable.

… Qu’est-ce que la Flécharde ? Une femme si simple et si misérable qu’elle s’ignore elle-même, une créature toute passive et toute instinctive qui n’a que des entrailles, à peine un cerveau.

On a brûlé sa maison, on a tué son mari ; elle s’est enfuie, ses enfants aux bras, effarée, hagarde, farouche. Dans l’admirable prologue qui ouvre le livre, quand le bataillon la trouve sous le bois fouillé par les baïonnettes, elle apparaît comme une Geneviève de Brabant rustique, revenue l’état sauvage. La guerre la traque comme une chasse ; elle tombe, abattue d’une balle, dans une ferme incendiée. Les enfants ont disparu quand elle se relève. Elle part alors, cherchant ses petits, désespérément, à tâtons, mangeant de l’herbe, couchant dans les halliers et sous les étoiles, déchirant ses pieds aux cailloux et ses haillons aux broussailles, de même qu’une bête poursuivie y laisse son poil et sa chair.