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les entrailles de la guerre civile, poussent une armée à l’assaut et un proscripteur à la mort. Je ne sais pas de conception plus haute et plus touchante à la fois que celle de ce berceau jeté sur un monde en fureur qui s’y brise, comme au mystérieux grain de sable sur lequel Dieu arrête l’Océan.

Paul de Saint-Victor a rendu justice à l’impartialité de Victor Hugo ; cette impartialité n’a pu trouver grâce devant M. de Lescure, héritier d’un grand nom que le poète a glorifié en passant et qui le remercie par les deux articles suivants dont nous donnons les principaux extraits, c’est-à-dire les plus injurieux :

La Presse.
M. de Lescure.

Voici un livre qui n’est pas un chef-d’œuvre, signé d’un nom qui, après avoir été justement célèbre, est tombé au-dessous de sa gloire et semble se contenter de n’être plus que fameux. Nous venons de le lire la plume à la main, avec le sincère désir de le trouver très beau, mêlé de la crainte de le trouver plus mauvais qu’il n’est en réalité.

Nous voici, après l’avoir lu, désabusé de notre illusion, mais en même temps guéri de nos alarmes. Le nouvel ouvrage de M. Victor Hugo n’est ni meilleur ni pire que les précédents. Il appartient à cette veine de décadence, que s’obstine à fouiller, au grand regret de ses anciens admirateurs, la vieillesse d’un homme de génie, qui, à force de chercher la popularité et pour en être plus sûre sans doute, dans un pays où ce qui est supérieur ne plaît qu’à l’élite, s’est condamnée à n’avoir plus que des restes de talent accommodés au goût du jour. Le goût du jour, c’est ce qui caresse la fibre révolutionnaire, plus complaisante encore chez nous que la fibre nationale.

(1er mars.)

… Dans le moindre détail de ce livre-manifeste, au titre choisi comme un appât pour les uns, comme un défi contre les autres : Quatrevingt-treize ; dans les moindres discours prêtés à son héros favori, à celui dans lequel il se personnifie et s’admire lui-même, on sent passer le souffle de ce démon révolutionnaire dont le poète accepte aujourd’hui l’inspiration ; on voit flotter au vent ce drapeau de la revendication sociale dont il s’est fait le pontife, ce drapeau, qui n’est ni le drapeau blanc, certes, ni le drapeau tricolore, qui du moins est déplié et arboré de façon qu’on n’en voit plus que le rouge.

Il serait curieux de comparer le livre déjà ancien de M. Jules Simon, philosophe de la Révolution : La Politique radicale, avec le livre récent de M. Victor Hugo, poète de la Révolution, mais cette comparaison nous mènerait trop loin, elle pourrait faire croire à l’auteur de Quatrevingt-treize qu’il n’a rien inventé.

Journal des Débats.
Amédée Achard.

Quatrevingt-treize est plus qu’un titre, c’est une profession de foi, presque une enseigne. On voit l’œuvre dans le nom de baptême comme on voit un abîme dans un éclair.

… Est-ce un roman, est-ce un poème, est-ce un pamphlet, est-ce un livre d’histoire ? Je ne sais ; il y a un peu de tout. Le lien qui en relie les différentes parties vous échappe, à moins que ce ne soit la haine de la monarchie qui a fait la France et l’amour de la Terreur qui l’a défaite. On pourrait le comparer à ces galeries où des mains prodigues plus qu’intelligentes ont entassé sans ordre et sans règle des aquarelles et de grandes toiles, des eaux-fortes et des fusains, des pastels et des peintures sur cuivre, des paysages et des batailles, des ébauches et des miniatures, un portrait de Rembrandt et un croquis de Salvator Rosa, un tableau de l’école flamande et une esquisse de l’école florentine, un Corrège avant un Van Ostade, un Albert Durer à côté d’un Murillo. Cela produit l’effet d’un kaléidoscope éclatant, mais confus.

… Il serait puéril d’ajouter que dans ce livre, signé d’un nom illustre entre les plus glorieux, des chapitres vous emportent par leur flamme, leur mouvement, leur éloquence. Que de pages abondent, qui sont des enchantements de grâce, de poésie, de fraî-