Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/503

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Et vous allez jusqu’à dire que le lien de l’œuvre est sans doute l’amour de la Terreur.

Vous ne l’avez donc pas approfondie, et vous osez la juger quand même. Mais je n’ai qu’à vous prendre dans vos propres inconséquences : et cette mère ! et l’adoption de ces trois enfants sauvés par un vendéen au milieu même de la lutte ! et ce Lantenac, ce chef vendéen, sauvé son tour par un révolutionnaire !

Et tout cela, qui forme le nœud même de l’action, c’est l’amour de la Terreur, de l’échafaud, de la guerre civile ! Allons donc, cela n’a qu’un nom : c’est de l’humanité.

Mais ce qui vous trahit, c’est ce passage : «Au travers de ce duel farouche, — on se sert volontiers des expressions favorites de M. Victor Hugo, quand on vient de le lire, — errent une femme et trois enfants. — La mère a été fusillée — par les Vendéens naturellement : avec M. Victor Hugo, on ne se douterait pas que les Républicains aient jamais fusillé. »

Là est le défaut de la cuirasse : ce que vous reprochez à l’auteur de Quatrevingt-treize, c’est d’avoir rappelé aux générations futures le cri de la Vendée : Point de quartier ! et d’avoir montré que celle-ci avait été effectivement sans pitié.

Les Vendéens n’ont jamais fusillé, n’est-ce pas ?

Et comment avez-vous osé hasarder cette critique, quand vous dites d’abord que Victor Hugo a peint les deux partis avec leurs haines implacables, et que vous constatez après que l’auteur montre le marquis de Lantenac, vaincu par la pitié, qui rentre dans l’incendie et sauve les trois petits enfants pris dans un tourbillon de flammes.

Est-ce là charger quand même la Vendée, noircir le tableau au profit de l’un ou de l’autre des groupes ?

Dans toutes les langues, on appelle cela de l’impartialité, mais c’est cette impartialité qui vous blesse, cette vérité qui vous écrase !

Vous eussiez sans doute voulu que la Vendée eut été laissée dans l’ombre, afin qu’on ne vît pas trop ce qu’elle avait été. Mais vous comptiez sans le châtiment de l’auteur, je veux dire sans sa justice.

Le juge s’est mis entre les deux partis : et vous aurez beau faire, votre jugement sera, en somme, sa justification, et se réduira au reproche que vous lui faites d’avoir, avec son style, mis dans son œuvre des âmes partout, et idéalité la matière, selon votre expression, force de génie et de cœur.

Le National.
Théodore de Banville.
2 mars 1874.

Toute l’Europe connaît déjà le nouveau livre de Victor Hugo : Quatrevingt-treize, et l’impression produite par ce chef-d’œuvre est immense. Comme un Titien, comme un Michel-Ange, Victor Hugo en entrant dans la vieillesse a pu garder tout entière la faculté créatrice ; les jours se sont ajoutés aux jours en rendant sans cesse plus agile et plus robuste la main du puissant ouvrier.

Les temps futurs appartenant d’avance au bien, la cruauté déclarée stérile, et l’amour reconnu tout puissant, telle est en somme et absolument l’idée générale du livre dont nous ne connaissons encore que le Premier Récit intitulé la Guerre civile. Cette conclusion est magnifiquement développée dans la conversation que tiennent ensemble Gauvain et Cimourdain pendant la nuit suprême qui précède la matinée où Gauvain, commandant la colonne d’expédition, va être guillotiné par ordre de Cimourdain, délégué du Comité de salut public.

Cependant le soleil se lève ! la hideuse machine est dressée, et le patient paraît. Toute l’armée frénétiquement demande grâce pour le commandant, qui n’est coupable que d’avoir fait évader un ennemi capturé pour avoir arraché des enfants à la mort ; mais le délégué crie d’une voix inexorable : « Force à la loi. » Le bourreau fait son office, et, au moment où la tête de Gauvain tombe dans le panier, Cimourdain prend un de ses pistolets et se traverse le cœur d’une balle. « Un flot de sang lui sortit de la bouche, il tomba mort. Et ces deux âmes, sœurs tragiques, s’envolèrent ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre. »

En lisant cette phrase magique qui termine le Premier Récit de Quatrevingt-treize, ne croit-on pas voir un de ces grands et magnifiques dessins où Prud’hon fait traverser l’azur par de grandes déesses guerrières s’enfuyant dans un vol radieux vers l’invincible clarté ? Et on